10e dimanche du temps ordinaire – Année B – 10 juin 2018

Homélie du frère Jean-Pierre Mérimée

Pour que notre vie soit orientée,  qu’elle ait une boussole,  il est nécessaire de nommer le mal. C’est ce que fait la Genèse dans le passage que nous venons d’entendre. Le contexte de ce premier livre de la Bible n’est pas historique naturellement, il est ontologique – c’est-à-dire qu’il vise ce qui est la racine de l’être profond, si nous le lisons à la lumière de l’hébreu dans une perspective intérieure et symbolique. Adam, comme le souligne Annick de Souzenelle, désigne la terre et avec elle, l’homme intérieur non encore accompli que nous sommes tous, homme ou femme. Il s’agit que les deux faces d’Adam, ish la lumière et isha l’ombre – à savoir la lumière non encore accomplie-  s’accomplissent, aillent dans la vie divine, sans penser à mal. Consommer du fruit de la connaissance du bien et du mal revient donc à régresser, déserter l’homme intérieur, se mettre justement à penser à mal. La Genèse  marque très nettement que la vocation de l’homme est de se tenir dans la gloire de Dieu sans se laisser détourner par rien d’autre. Quant au  moralisateur qui  part en croisade contre le mal, on peut craindre que ce soit pour se venger de la vie, qu’il n’aime pas. Comme si Dieu avait été inventé par les hommes pour faire échec au mal ! La peur le fait se barricader derrière ses certitudes, parce que, s’il l’aimait, la vie, il ne songerait pas au mal, il songerait à vivre, à voir le bien là où il est. Il goûterait à l’arbre de la vie que Dieu a planté au centre de son jardin, identifié au  Christ dans le livre de l’Apocalypse.

Si l’homme a du mal à vivre le bien pour le bien, peut-être est-ce parce que l’homme véritablement moral ne sait pas qu’il est moral, comme le souligne le philosophe Jankélévitch. Et visiblement cette ignorance ne fait pas l’affaire de notre ego.

Avoir la foi veut dire ne pas condamner l’existence au départ, comme ceux qui croient que la mort est la fin de la vie, que le néant est le fond de l’être et que  la haine est la vérité de l’amour.

Le mal, nous enseigne la Bible, c’est la religion du serpent, elle n’est pas celle de l’homme fait pour vivre et respirer du souffle même de Dieu. C’est finalement une bonne nouvelle : parce que ça veut dire que ni Dieu ni l’homme ne sont  à l’origine de la faute.  Le mal, comme le dit Ricoeur,  «  est ce que personne n’a commencé mais que tout le monde continue »

Nous le savons : On secours  quelqu’un qui souffre en l’aidant à vivre, en lui suggérant  qu’il peut vivre ce qu’il vit, qu’il a en lui les ressources nécessaires, en le fortifiant  et non pas  en lui expliquant pourquoi il a mérité de souffrir comme il souffre.

La vie n’est pas en face de nous, elle est en nous et nous sommes en elle. On la connait donc quand on rentre en soi et non quand on se met en face d’elle en restant soi-même à l’extérieur de soi-même. Il ne va de même pour Dieu. Il est en nous comme nous sommes en lui. On le rencontre en rentrant en soi… On oublie toujours de partir de la vie pour comprendre Dieu. Du coup on n’y comprend rien.

D’où vient le mal ? Il provient de l’absence du bien, comme le dit Maxime le Confesseur. L’homme perd du même coup et Dieu et lui-même quand il n’est plus conforme à son être profond, quand il ne vit plus au pied de son arbre, celui du milieu du jardin, l’arbre de la vie, le Christ Jésus.

Dans le récit de la Genèse, le mal incarné par le serpent est maudit par Dieu. Vous l’aurez noté : dans la Bible, la colère de Dieu est toujours contre ce qui démolit l’homme.

Comme le mal ne vient pas de Dieu, comme il n’est pas non plus dans la nature de l’homme, il est un combat à mener, c’est ce que symbolise la fin du récit, cette « hostilité entre toi et la femme, elle te meurtrira la tête et toi tu lui meurtrira le talon. »

C’est de l’intérieur de ce combat que nous pouvons entendre les encouragements de Paul aux Corinthiens, s’appuyant sur la bonne nouvelle de la résurrection du Christ : « C’est pourquoi nous ne perdons pas courage, et même si en nous l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. Car notre détresse du moment présent est légère par rapport au poids vraiment incomparable de gloire éternelle qu’elle produit pour nous ».

C’est de l’intérieur de ce combat contre le Tentateur, le Diviseur que s’éclaire également ce passage de l’Evangile d’aujourd’hui :« Personne ne peut entrer dans la maison d’un homme fort et piller ses biens s’il ne l’a pas d’abord ligoté. Alors seulement il pillera sa maison » Satan a commencé par ligoter Adam et Eve, par paralyser leur entendement par cette tentation mensongère de devenir l’égal d’un Dieu jaloux de garder son pouvoir.

Le péché contre l’esprit, n’est-ce pas justement de refuser d’accueillir la vie,  l’amour, n’est-ce pas de refuser d’entrer dans la famille de ceux qui sont au Christ, vivant de sa vie, parce qu’ils font la volonté de Dieu, un Dieu qui entend de cri de son peuple ?

Ecoutons Nelson Mandela, président d’Afrique du Sud, dans son discours d’inauguration comme Président en 1994 : « Ce que nous redoutons le plus, ce n’est pas d’être confronté à notre médiocrité ou à nos insuffisances. Notre crainte la plus profonde, c’est au contraire de mesurer toute l’étendue de notre puissance. C’est notre lumière et non notre obscurité qui nous fait peur. » Et également : « Nous sommes nés pour manifester au grand jour la gloire de Dieu qui est en nous. Et cette gloire ne réside pas seulement en quelques uns d’entre nous mais en tout un chacun »…

Oui, l’homme est fils de roi. Mais Il est malheureusement toujours tenté de devenir gardien de porcs à l’exemple du fils prodigue. Il est né roi prêtre et prophète pour devenir roi prêtre et prophète : « Reconnais ta noblesse, reconnais que tu es de dignité royale » dit saint Macaire. Et en écho, combien de psaumes comme le psaume 45 répètent : « Tu es beau, le plus beau des enfants des hommes (…) A la place de tes pères te viendront des fils : tu en feras des princes par toute la terre ».

J’ai dans ma poche une bille de verre bleu ramassée dans le caniveau de ma rue. Quand ça va mal, je la caresse du bout des doigts et je me dis : « A Moulins-Lille aussi les enfants jouent aux billes. A Moulins aussi la vie l’emporte et avec elle la beauté bouleversante de ce Royaume inauguré par le Christ.

Le cri d’espérance peut alors jaillir de notre cœur, quel que soit notre âge, notre passé, notre passif. Quelle que soit la couleur de l’actualité, l’incertitude du futur. C’est le psaume d’aujourd’hui, le psaume 129 : « J’espère le Seigneur de toute mon âme ; je l’espère et j’attends sa parole. Mon âme attend le Seigneur plus qu’un veilleur ne guette l’aurore ».

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