Homélie du frère Benoît Ente – Dimanche 27 septembre 2020
Mardi, je suis allé au cinéma pour voir le film les choses qu’on dit, les choses qu’on fait de Emmanuel Mouret. Un film sur l’amour, l’amour comme dit le frère Jean-Pierre. Un film que je vous recommande et dont le titre aurait pu être celui de la parabole de Jésus. Le cinéma a cette capacité de jouer des écarts entre ce que les personnages disent et ce qu’ils font, entre ce que les paroles expriment de leurs intentions, leurs exigences, et ce que les images montrent de leurs actes.
Jésus, lui, ne fait pas du cinéma, mais tout de même, les petites histoires qu’il nous raconte et que nous appelons paraboles partagent un objectif du cinéma : ouvrir nos yeux sur la réalité de notre condition humaine. Qu’est ce que cette parabole du père et ses deux fils veut nous dire ?
Commençons par le deuxième. Comme il nous ressemble vous ne trouvez pas ? Combien de fois ai-je promis de rendre un service, d’écrire à quelqu’un, de donner des nouvelles et finalement je ne l’ai pas fait pour des tas de très bonnes raisons. Combien de bonnes résolutions ai-je prises sans les tenir ? La sœur Jeanne d’Arc traduit la réponse de ce deuxième fils par « Moi, oui ! Seigneur ! » sous entendu, moi à la différence des autres. Exactement, comme le premier des apôtres, Pierre. Lorsque Jésus annonce à ses disciples qu’ils vont l’abandonner, Pierre répond « Si tous chutaient à cause de toi, MOI, jamais je ne chuterai ! »
Ce deuxième fils se croit supérieur aux autres, parfait, irréprochable. C’est là son problème. Je l’imagine prier comme le pharisien : « je te rends grâce Seigneur de ne pas être comme ce publicain, je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne. » En fait, ce deuxième fils se prend pour Dieu. Il se croit invulnérable, lisse à la manière de ces héros qui ne mentent jamais, qui ne trichent jamais, qui n’ont jamais de défaillance et qui renvoient une image idéalisée de nous-même.
Au contraire, le premier fils est capable de dire « je me suis trompé, je t’ai fait du mal, je regrette. » C’est peut-être cela justement faire la volonté du Père et devenir disciple : être capable de reconnaître une faiblesse et modifier son comportement en conséquence. Jésus prend d’ailleurs en exemple les publicains et les prostituées qui ont cru en Jean le baptiste. Or Jean-Baptiste donnait un baptême de conversion en vue du pardon des péchés. Quand ils allaient voir Jean, les publicains et les prostituées reconnaissaient implicitement qu’ils n’étaient pas tout blanc et qu’ils avaient besoin d’une conversion. C’est précisément ce geste d’humilité que n’ont pas su faire les grands prêtres et les anciens convaincus de leur impeccabilité.
Et oui, travailler dans la vigne du Père, faire l’œuvre de Dieu, ce n’est pas d’abord un agenda à remplir, c’est d’abord une conversion à opérer, un abaissement à accepter. Si Jésus s’est abaissé comme le dit St Paul, c’est pour nous entraîner avec lui dans ce mouvement humble d’acceptation de notre propre fragilité.
Dans le film dont je parlais plus haut, il y a un personnage, Daphné avec une certaine exigence morale. Or elle aussi fait l’expérience d’une faille d’un écart entre ce qu’elle dit et ce qu’elle fait. Et paradoxalement, cette faille l’oblige à choisir, à décider de rester avec tel homme plutôt qu’un autre. Or cet acte de la volonté vient apporter à son amour pour cet homme ce qui lui manquait.
L’evangile est rempli de ces personnages qui font l’expérience de leur défaillance et à travers cette défaillance se convertissent. Pensez au fils prodigue, à la prière du publicain ou encore à l’apôtre Pierre. Il fallait que Pierre renie son Seigneur pour que viennent ses yeux des larmes de conversion, pour qu’il découvre l’infini de l’amour du Christ pour lui. C’est peut-être cette expérience fondamentale, plus que sa confession de foi, qui a donné à Pierre la stature de devenir une des colonnes de l’Eglise du Christ.
Même Jésus fait l’expérience de la fragilité de sa nature humaine. « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! » Jésus ne veut pas aller vers sa passion. Exactement comme le premier fils de la parabole qui répond « Je ne veux pas » Et c’est précisément au moment où Jésus exprime sa réticence qu’il reçoit la force d’aller de l’avant. « Que ta volonté soit faite ! »
Chers frères et sœurs, que cette parole du Christ soit la nôtre aujourd’hui face à la crise sanitaire que nous traversons, face au défi climatique que nous affrontons, face au pauvre que nous accueillons. Que ta volonté soit faite. Amen.