Un rite étonnant

Homélie du frère Benoît-Marie Florant – Jeudi saint 17 avril 2025

Juste après cette homélie, j’accomplirai un rite étonnant ! Nous y
sommes un peu habitué car il revient chaque année en cette
commémoration de la Cène du Seigneur. Nous ne serons donc pas

surpris. Mais il ne cesse pourtant d’être étonnant ! De quoi ce geste est-
il donc le signe ? Et comment lui rendre sa nouveauté permanente ?

Pendant notre lecture au réfectoire, nous lisions le livre d’un de nos
frères sur l’apostolat auprès des sourds-muets. Il nous rappelait que la
liturgie par excellence est le lieu des signes, des gestes symboliques
qui expriment par eux-mêmes, déjà, le mystère qu’ils désignent.
Lorsque nous nous sommes frappé la poitrine, pendant le rite
pénitentiel, il était clair pour tous que nous exprimions ce sentiment de
repentir intérieur. Pendant la prière eucharistique, je romprai le pain,
vous y verrez un geste de partage, parce que l’unique corps du Christ
sera reçu en communion par tous. Nous communierons au même
Corps.
De quoi le lavement des pieds est-il donc le signe ? Il parle en partie de
lui-même : il marque l’hospitalité avant de prendre part au repas du
Seigneur. Le Christ nous reçoit, et pour cela, il se met à notre service en
s’abaissant. Mais je ne laverai pas les pieds de tous les fidèles, et nous
ne le faisons pas lors de chaque eucharistie. C’est qu’il revêt une
dimension spéciale en ces jours où nous célébrons le mystère de la
mort et de la résurrection du Christ de manière éminente. Il a donc ce
soir une valeur exemplaire qui vaut pour tous et pour toutes les
eucharisties.
L’unique mystère de la mort et de la résurrection est comme diffracté
dans le temps, reprenant le cours de la Passion du Seigneur : de la
Cène, de Gethsémani, de la crucifixion, la mise au tombeau, jusqu’au
matin lumineux de Pâques.
Alors je reprends mon questionnement. De quoi ce lavement des pieds
est-il le signifiant ? En quoi marque-t-il le seuil de ce mystère ?
Jésus lave les pieds de ses disciples parce qu’il les a invités à partager
sa Pâque. Il vous est peut-être déjà arrivé d’être désigné pour que votre
curé vous lave les pieds un jeudi Saint. Vous aurez alors fait cette
expérience de la double humilité nécessaire : s’abaisser aux pieds de
ses frères, et au moins autant, accepter de se faire laver les pieds.

Le premier mouvement, l’abaissement de Jésus, récapitule le mystère
de l’incarnation, ce Dieu qui vient à nous, et nous rejoint dans notre vie
réelle. Il dit aussi par avance l’abaissement de la Croix. La proximité du
Christ va jusqu’au don sa vie dans un acte de dessaisissement, et
d’oblation. Il dit le cœur du mystère de la rédemption. Et cela nous
éclaire sur notre manière de participer à ce mystère. Nous y participons
par la communion eucharistique, en nous laissant emporter par le
mouvement même du Christ. Mais nous y participons tout autant à
chaque fois que comme le Maître, nous nous dessaisissons de nous
même pour notre prochain, par amour de Dieu.
Mais regardons plus avant la deuxième considération : « accepter de se
faire laver les pieds ».
La réaction de Pierre est tellement réaliste ! Et le second de ces deux
geste d’humilité est de loin le moins naturel, et peut-être le plus
difficile…
La protestation de Pierre résume toutes nos tentatives de nous mettre à
l’écart, d’invoquer notre indignité devant le don ineffable que le Christ
nous fait.
En lavant les pieds de ses invités, en nous proposant de refaire ce
geste, le Christ balaie nos difficultés à nous sentir pleinement légitimes.
Il nous presse instamment d’accepter son invitation !
En accompagnant des étudiants catéchumènes, j’ai été frappé par leur
réflexe de se tenir à l’écart, au fond de l’église. Ils me rapportait qu’ils
ne se sentaient pas légitimes.
Ce lavement des pieds vient nous dire justement que c’est le Christ lui
même, en nous invitant, qui nous rend digne. Nous ne produisons pas
notre propre dignité. Nous nous laissons transformer par l’eucharistie.

Au moment où nous célébrons plus solennellement l’eucharistie, où
cette Cène du Seigneur annonce toutes les eucharisties, allons-nous,
ce soir, répondre favorablement à l’invitation du Christ ? Allons entrer,
pleinement, de la tête et des épaules, avec tout notre corps et toute
notre histoire personnelle, dans le grand mystère de la Passion et de la
Résurrection de Jésus ?

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