Au cœur du corps

Homélie du frère Franck Dubois – Fête du saint Sacrement Dimanche 22 juin 2025

L’endroit est-il encore si désert, peuplé de 5.000 personnes ? Y a-t-il désert lorsqu’il y a foule ? Je pense que oui. Qui de nous ne s’est pas senti seul, extrêmement seul, entouré de nombreuses personnes ? Qui de nous ne s’est pas senti incompris, oublié dans un groupe qui aurait dû être familier, famille, amis, collègue, mais qui se révèle finalement étranger. Notre époque est celle de la solitude collective, solitude des foules. Souvent, c’est l’angoisse, la peur, l’envie de se débarrasser de ces gens au plus vite : « renvoie-les ! »
Mais Jésus ne cède pas facilement à nos caprices et nos fantasmes de splendide isolement. Dans un monde de 8 milliards d’habitants, la solution n’est pas d’esquiver ou de supprimer la foule. Mais de la confronter. « Faites des groupes de 50 ». À 5 000 c’est anonyme, mais à 50 les visages se distinguent, les personnalités se dessinent. L’humain revient au centre. Jésus prépare le terrain, il délègue, il organise, il fait de la logistique. Et du même coup, il bénit tous ceux dont le métier, la passion, la charge est d’organiser les groupes humains. Des commissaires du pèlerinage du Rosaire à Lourdes aux maires de nos communes, du président du comité des fêtes au député de nos circonscriptions, du patron de PME au directeur d’ONG. Jésus ne prend pas à la légère nos questions de gouvernance, d’organisation, de gestion. Il sait trop que cela est nécessaire… pour la suite. C’est-à-dire pour nourrir. Donner à manger. Nous-mêmes. Avec nos ressources, dérisoires, toujours insuffisantes.
On n’y arrivera pas ! C’est trop compliqué ! pas assez de moyens. Qui peut être assez fou pour croire encore à la démocratie, au principe du marché, à la politique, au monde associatif. Qui peut être assez naïf pour penser que la société pacifique et prospère des hommes vivant en harmonie est possible. Eh bien, frères et sœurs, s’il en est, derniers parmi les derniers, qui doivent y croire c’est nous, les catholiques qui ne devons jamais désespérer la possibilité d’organiser nos foules en société, nos groupes anonymes en communautés.
À deux conditions : Donnez-leur vous-mêmes à manger. Donnez leur de vous-même à manger. Se donner soi-même. Y mettre du sien. Y mettre de la sueur et de la force, de l’intelligence et de la sagesse. Au nom de notre Foi en Dieu qui prend soin des hommes, concrètement, jusque dans leurs nécessités les plus quotidiennes. Donne-nous le pain de ce jour. Pain des hommes. Jusqu’à sacrifier de vous quelque chose : du temps, de l’intelligence et pourquoi pas une vie.
Mais l’autre condition, aussitôt. C’est d’offrir ce pain des hommes, ce labeur quotidien, cet effort trop humain de sueur et de persévérance, de travail bien fait et d’organisation laborieuse… de le remettre dans les mains du seul maître. Pour qu’il transforme ce pain terrestre et nourriture céleste, et que nos efforts humains surélevés par sa grâce achèvent nos actions bien au-delà de tout ce que nous pouvions imaginer. Dieu accomplit et sublime le travail de nos mains. Et les cinquante ne sont plus une partie des 5.000, bataillon anonyme en ordre de bataille. Mais une communauté travaillée par des disciples serviteurs que le maître aura envoyé organiser, et nourrir.
Alors comment ne pas comprendre que l’eucharistie est l’achèvement universel de tout ce travail des hommes. Comment ne pas voir dans les offrandes apportées à l’autel, raisin transformé en vin, blé en pain, le symbole parfait de toute œuvre humaine remise à Dieu pour qu’il la sublime et rajoute tout le poids de sa grâce à celui de notre labeur. Le pain, le vin sont le fruit d’une société organisée en métiers, banquier, ouvrier, mécanicien, commercial, paysan, toute une merveille d’organisation, de lien organiques, tout un corps social permettant au blé de devenir pain, au raison de devenir vin. Mais ce corps social si raffiné, spécialisé, riche d’une histoire multiséculaire n’est rien. C’est un corps inerte, un cadavre, s’il n’est pas animé de l’intérieur par le corps eucharistique.
Si Jésus n’est pas présent au cœur du corps, alors le corps n’a pas d’âme. Voilà l’eucharistie : la messe, présence rayonnante de Jésus qui se donne chaque jour en renouvelant son sacrifice pour nous inviter à nous donner en lui. Présence de Jésus vivant, corps et sang, qui fait de nous un corps vivant, incorporé en lui.
Aussi, le monde a plus que jamais du Saint Sacrifice de la Messe, et de ministre pour la célébrer. Chaque dimanche, ou plus, il nous faut aller à cette source et ce sommet, puiser à l’autel la vie et la force de nous sacrifier et de nous donner, pour que le monde vive. Pour faire de chacun des corps auxquels nous appartenons une eucharistie continuée, et de chacune de nos vies une vivante offrande à la louange de sa gloire.

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