Homélie du frère Benoît-Marie Florant – Vigile pascale 19 avril 2025
Un cri se fait entendre. Un petit enfant naît, mystère de la vie. Et toute une
vie de parole et de méditation éclairera la signification et la profondeur de
l’être ainsi manifesté, et ce ne sera toujours suffisant !
Aux paroles de toute sa vie, aux explications patiemment données à ses
disciples, le Christ, en cette nuit, ajoute un acte ultime qui d’éclairer le
mystère de sa personne. Il aura fallu cette nuit de Résurrection à ses
apôtres, à ses proches, pour entrer plus pleinement dans l’intelligence de
cette fin apparemment tragique.
Toutes nos lectures, cette nuit, convergent vers cette reconnaissance de
l’agir de Dieu pour son peuple. Nous venons de parcourir les grands
monuments littéraires de la Révélation dans lesquels le Peuple de Dieu
reconnaît les traces de la libération déjà à l’œuvre dans l’histoire du Salut.
Le peuple, la Bible, la liturgie en font mémoire. Il s’agit de repérer, de
discerner cette vie divine à l’œuvre au milieu de nous. Il convient même, à
l’aide de ces monuments de de mots, d’en apprendre la grammaire. Car en
apprenant à la reconnaître dans l’Écriture Sainte, nous devons plus habiles à
l’y retrouver dans notre vie personnelle.
Pourtant, la tension même de l’histoire sainte vers sa fin nous dit que ces
traces sont encore à l’état inchoatif, à l’état de commencement. Dieu n’a pas
tout donné lorsqu’il a crée le monde. Il a encore de la réserve, même après
la Sortie d’Égypte. Les Prophètes, plus que tous, nous ont appris à espérer
la réalisation pleine et entière de cette délivrance, de cette plénitude, dont la
résurrection constitue les prémices. Ces prophéties installent une attente
inouïe, dont nul ne prévoyait clairement la manière.
Mémoire et espérance, voilà deux mots qui résument cette pédagogie de
Dieu pour nous initier à sa propre vie.
Puis dans ces temps qui furent les derniers, le Christ nous a appris à
discerner le Royaume de Dieu dans le monde. La vie même de Jésus, son
enseignement et sa manière de vivre, a encore affiné le contour un peu flou.
Mais il aura fallu attendre encore la victoire suprême du Christ sur la mort,
en cette nuit très sainte, et sans-doute quelques nuits de cogitations de la
part des disciples ensuite, pour nous faire entrevoir plus nettement comment
Dieu veut accomplir sa promesse pour chacun de nous. Il va permettre à nos
pauvres corps mortels, à nos pauvres âmes limitées de partager rien moins
que sa force de vie créatrice et recréatrice.
Pour laisser entrer en nous plus pleinement la joie de Pâques, ce soir, je
vous invite à refaire ce parcours de mémoire et de dépassement. De la
même manière que nous avons relu cette histoire de l’intervention de Dieu
pour son peuple chez les prophète, de la création primordiale à l’attente d’un
cœur et de l’esprit renouvelé, de la même manière que dans nos mémoires
sont gravés les enseignements du Christ relus à la lumière de sa
résurrection, aussi, nous pouvons reconnaître dans nos histoires
particulières les interventions libératrices du Seigneur, ou les pierres
d’attente d’une plénitude encore à venir.
Je pense spécialement à toutes ces petites résurrections que le Seigneur
nous a donné de vivre après un échec, une rupture, une confiance trompée,
lorsque nous entrevoyons à nouveau la lumière de l’avenir. Et à celles que
nous attendons encore en nous appuyant sur la certitude la victoire définitive
du Christ sur le mal et sur la mort.
Vous connaissez peut-être cet art japonais dite de la « jointure en or », qui
consiste à restaurer des porcelaines brisées. Le maître-artisan recolle les
morceaux cassés avec de la laque, et dépose de l’or sur les marques de
brisures avant de les lustrer. Il leur redonne leur fonction, leur utilité, et plus
encore, il les magnifie mais sans rien cacher de la réparation, en assumant
qu’ils sont restaurés. Le vase ou la tasse est comme ressuscitée, faisant
penser au Christ portant les plaies sur son corps de gloire. Il est encore plus
beau que l’objet initial.
Par sa résurrection, le Christ est comme l’or qui vient tenir ensemble nos
fragments d’être, pour nous faire tenir debout, et prêts à être remplis à
nouveau de tout ce qu’il a à nous donner.