Homélie du frère Emmanuel Dumont – Dimanche 13 juillet 2025
1.1 Une question qui dépasse
Que faire pour avoir la vie éternelle ?
Peut-être que vous avez déjà demandé à quelqu’un – ou qu’on vous a déjà demandé – : Comment faire pour avoir une vie réussie comme la tienne ? Comment faire pour réussir ce concours ? pour avoir ce travail ? pour acheter un telle maison ?
Pour toutes ces questions il y a des réponses, toujours discutables, mais des réponses. Il faut travailler, le faire intelligemment, correctement, efficacement. Certes, tout ne dépend pas de nous, mais on peut faire pencher la balance en notre faveur.
Mais aujourd’hui, le prof de droit pause une autre question à Jésus, il lui demande que faire pour avoir la vie éternelle.
La question est incroyable !
Comment faire pour avoir la vie ? C’est comme si une graine demandait ce qu’il faut faire pour être plantée. C’est comme si la gamète demandait au neurone comment faire pour vivre la fécondation.
1.2 Dieu dans les cœurs
La question de la vie et de la vie éternelle nous dépasse, et le prof semble la banaliser, en faire une question triviale. Il la réduit à une question de droit.
Pourtant, s’il pose la question, c’est qu’il croie au pouvoir des commandements.
Il croie que ces décrets inscrits dans le livre de la loi – comme le dit le Deutéronome -, nous rapprochent de Dieu.
Le prof interroge Jésus comme un spécialiste ou un scientifique de la Parole de Dieu, et sa question résonne en nous.
Nous aussi, nous voulons savoir, nous aussi, nous voulons bien faire, nous aussi nous voulons interroger des savants.
Comme lui, nous interrogeons Jésus, mais pas comme un spécialiste de la Parole. Nous nous adressons à lui comme Parole de Dieu.
Nous ne cherchons pas la vie dans des commandements lointains édictés par un législateur démiurgique, nous cherchons la vie dans la Parole qui est déjà là dans notre cœur.
Le Deutéronome passe progressivement des commandements à la Parole, il nous aide à discerner la présence de Dieu, l’auteur de toute vie, au plus intime de nous-même.
D’une certaine manière, le prof le sait, il sait que l’amour total de Dieu et du prochain comme soi-même donne la vie.
Et Jésus lui le confirme : « fais ainsi et tu vivra ».
Jésus est la Parole qui donne vie.
1.3 Se justifier
Mais voilà, la réponse ne satisfait pas le juriste.
Il a besoin de se justifier.
Il a besoin de se rendre juste.
En disant ça, Luc, nous met un petit indice : le monsieur se prend pour Dieu. Seul Dieu justifie.
Il argumente pour savoir ce qui dépend de lui pour gagner la vie éternelle, mais c’est ridicule. Nous, pauvres créatures, nous ne pouvons pas gagner la vie éternelle, quel que soit le pacte ou l’alliance que nous faisons avec les puissances d’en haut, nous restons de simples créatures, des graines qui n’avons pas encore germés dans la vie éternelle.
1.4 Seul Dieu donne et redonne la vie
Aujourd’hui, la liturgie nous donne de méditer sur l’hymne christique de la lettre aux Colossiens.
Une louange en l’honneur du Christ.
Or cet hymne ne nous dit pas ce que fait le Christ.
Il nous dit ce qu’il est : le premier-né, avant toute chose, le commencement, la tête de l’Église.
Et par lui, tout est créé, tout subsiste, tout est réconcilié à Dieu.
Notre expression technique pour dire cela est un peu « tue l’amour », c’est que le Christ est l’unique médiateur.
Pour avoir être créé, pour subsister dans l’existence, pour avoir la vie éternelle, pour être réconcilier, il faut que Dieu nous le donne par le Christ.
Il n’est plus question de choses à faires, de recette à suivre. Il est question d’accueillir et de reconnaitre l’action de Dieu.
C’est incroyablement satisfaisant de se savoir créé, aimé, sauvé par le Christ.
Et en même temps, ça reste gênant, ça reste un pari, tout ça reste impalpable, voire énigmatique.
L’hymne ne commence-t-il pas par cette superbe contradiction : le Christ est l’image du Dieu invisible.
Ça c’est de l’art abstrait.
Alors on aimerait bien se rassurer, en faisant des trucs, des performances, et on se retrouve comme le prof de loi : que faire.
1.5 Une histoire à double sens
Pour rappel, il y a un autre personnage qui a demandé à Jésus « Comment avoir la vie éternelle en héritage ».
C’est le jeune homme riche, au chapitre 18. Ils commencent aussi la conversation autour des commandements, et là, Jésus ne cite pas Dt 6, comme ce matin, mais il cite une partie du décalogue, en Dt 5. Jusqu’ici tout va bien, mais ce n’est pas suffisant. Jésus lui annonce qu’il faut tout quitter… ce qui est impossible pour lui. Et la morale de l’histoire, c’est que « rien n’est impossible à Dieu » ! C’est Dieu qui justifie.
Dans la parabole du Bon Samaritain, Jésus répond aussi avec une histoire à double sens.
D’un côté, il répond à la seconde question du prof : qui est mon prochain.
Il y répond de biais, d’ailleurs, en disant : Et toi, quand es-tu le proche de l’autre.
Mais la parabole a un sens plus profond. Ce n’est pas seulement une leçon de morale. Nous ne sommes pas seulement, le prêtre ou le saducéens qui n’avons pas pris le temps de nous occuper de notre prochain.
Nous sommes avant tout l’homme blessé, sauvé par le Christ, soigné par ses sacrements et sa parole.
C’est lui qui nous donne la vie.
1.6 Se laisser sauver par le Christ
Et là, Jésus ne manque pas d’ironie.
Il se compare à un Samaritain. Or un chapitre avant, au chapitre 9, Luc nous raconte comment les Samaritains ont refusé l’hospitalité à Jésus et à ses disciples, si bien que les disciples proposent à Jésus de faire tomber la foudre sur le village !
Hier soir, j’étais au mariage de Jean-Daniel et Nadia, qui viennent parfois à la messe ici. Très beau mariage ! En rentrant, je me suis perdu dans les rues de Mons, j’arrive près d’un bar d’où sortent pleins de jeunes du quartier, à deux pas des barres. Je n’étais pas particulièrement rassuré. Et là, l’un d’eux s’adresse à moi : tu me reconnais, on s’est vu à Annoeullin – c’est-à-dire dans les couloirs de la prison d’Annoeullin ! Bon il a due retirer sa casquette pour que je le reconnaisse. J’étais encore moins rassuré. Et pourtant, c’est bien lui qui m’a montré mon chemin. Il m’a montré la voie. Hier soir, c’était lui le Samaritain, le Christ qui sauve.