Homélie pour le 28e dimanche du TO

Du frère Jean-Baptiste Rendu

A votre avis, quel rapport peut-y avoir entre un militaire, un missionnaire, un malade et une ado de 14 ans ?

A priori, pas grand-chose… Et pourtant, en y regardant de plus près, un lien profond semble se dessiner !

Le militaire c’est Naaman, général de l’armée syrienne : un homme de pouvoir et de guerre, quelque peu orgueilleux semble-t-il, mais prêt à tout pour guérir de ce mal qui le ronge et le défigure, à savoir la lèpre. C’est pourquoi, sur ordre du prophète Élisée (lui le grand général), se rend en Israël pour se baigner sept fois dans le Jourdain. Après quelques hésitations – et on peut le comprendre, Naaman obéit et s’en trouve guérit. Ce geste d’humilité lui rend non seulement la santé, mais l’amène à reconnaître et à confesser la foi au Dieu unique : « Désormais, je le sais : il n’y a pas d’autre Dieu, sur toute la terre, que celui d’Israël ! ».

Pour le missionnaire, j’ai nommé l’apôtre Paul. Persécuteur zélé des premiers chrétiens, sa rencontre avec le Christ sur le chemin de Damas (Actes 9) marque, vous le savez, un tournant radical. De bourreau, il devient apôtre, consacrant sa vie à annoncer l’Évangile aux nations. Dans la deuxième lecture de ce jour, il nous témoigne de sa confiance totale en ce Dieu manifesté en Jésus-Christ. Un Dieu qui s’est engagé pour lui (et pour nous) jusqu’à la mort de la croix d’où il sort victorieux : « Voici une parole digne de foi : Si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons. Si nous supportons l’épreuve, avec lui nous régnerons. (…). Aussi, Si nous manquons de foi, lui reste fidèle à sa parole, car il ne peut se rejeter lui-même ». Une manière de nous dire que la fidélité de Dieu est le roc sur lequel toute croyant peut s’appuyer.

Le malade, vous l’aurez certainement deviné, il s’agit du lépreux samaritain de notre évangile. Parmi les dix lépreux guéris par Jésus, il est le seul à revenir pour rendre grâce et témoigner de sa reconnaissance. Sa démarche, soulignée par Jésus lui-même, montre que la guérison physique ne suffit pas : c’est la foi et la reconnaissance en la bonté de Dieu qui relève et restaure un chemin de vie : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé. ».

Et enfin, notre ado de 14 ans, c’est notre petite bigourdine favorite, la jeune et frêle Bernadette. Au cours des 18 apparitions à la grotte de Massabielle, elle fait se rend disponible à ce que la Belle Dame lui recommande et se fait ainsi la messagère d’une espérance pour des milliers et des milliers de pèlerins : l’espérance que le Seigneur, par Marie, à une attention toute particulière pour ceux qui souffrent, d’une manière

ou d’une autre, dans leur corps, dans leur cœur, leur âme ou leur esprit.
À travers notamment le geste des piscines, Marie offre aux malades un geste de purification et d’abandon à la grâce, symbole de renaissance spirituelle et de confiance en la bonté de Dieu.

Alors, mes frères et sœurs, maintenant que nous avons fait connaissance avec nos quatre personnages, avez-vous perçu ce qui les relie ?

Dans les récits de Naaman et de Bernadette, on retrouve un même geste symbolique : celui du bain, signe d’une renaissance spirituelle et d’une vie renouvelée dans la confiance en la bonté de Dieu.

De même, la parole de Jésus aux lépreux – « Allez-vous montrer aux prêtres » (Lc 17,14) –fait étonnamment écho à la demande de la Dame à Bernadette : « Allez dire aux prêtres qu’on bâtisse ici une chapelle et qu’on y vienne en procession ! » Deux appels qui invitent à reconnaître l’action de Dieu et à en rendre témoignage.

Mais plus étonnant encore et que ces 4 personnages, bien qu’étant issus de contextes historiques et culturels radicalement différents, partagent une même expérience fondatrice : la reconnaissance d’une rencontre qui bouleverse leur existence et en fait des témoins privilégiés de la foi.

Accueillir la grâce et reconnaître que tout est grâce et en témoigner !
Un double et même mouvement qui peut se résumer en un seul mot : GRATITUDE !

Dans la vie chrétienne, la gratitude est bien plus qu’un simple sentiment : elle est une attitude fondamentale du cœur, une réponse à l’amour infini de Dieu révélé en Jésus-Christ. Elle s’enracine dans la reconnaissance de ses dons — la création, la rédemption, la présence de l’Esprit — et se vit comme une louange permanente, même dans l’épreuve.

Comme saint Paul l’écrit : « Rendez grâce en toute circonstance » (1 Th 5, 18). Cette gratitude spirituelle transforme le regard du croyant : elle révèle la beauté cachée des petites choses, fait grandir l’humilité et ouvre à la confiance en Dieu.

En pratique, elle s’exprime par la prière (comme l’action de grâce eucharistique), mais aussi par le service fraternel et l’attention aux plus petits, aux plus fragiles.

Reconnaître que tout est grâce, c’est une manière, concrète et quotidienne, de vivre en enfant de Dieu, libre et aimant.

La poète auxerroise Marie Noël raconte ainsi dans ses Notes intimes comment elle a fait évoluer son examen de conscience du soir en des 
« litanies du Merci » : 

« Je ne cherche plus mes taches, mais mes dettes. Je révise en mon cœur tout ce que j’ai reçu d’autrui au cours de la journée, toute cette menue bonté – ou grande – de l’homme qui m’a fait l’aumône en chemin, depuis le prêtre qui m’a dit la messe du matin (…) et jusqu’à la bonne femme qui a cueilli dans son jardin, pour ma soupe, une poignée d’oseille. » Elle ajoute : « Je crois bien que cet exercice de reconnaissance si confiant, si affectueux, doit faire plaisir à Dieu autant qu’à moi-même – bien plus que, jadis, mes fouilles de conscience. » Et encore : « Si j’étais mère abbesse, ou simplement mère de famille, je l’enseignerais à mes enfants. »

N’étant ni mère abbesse ni mère de famille (et je vous rassure, je ne compte pas le devenir) je me permets tout de même, frères et sœurs, d’emprunter à Marie Noël son conseil : faisons de la gratitude notre règle de vie.

A l’exemple de Naaman, de Paul, du lépreux guéri, de Bernadette, apprenons à reconnaître les signes discrets de la grâce de Dieu, à dire merci, simplement, pour la beauté d’un jour, pour la présence d’un frère, pour la paix d’un instant.Car celui qui rend grâce ne regarde plus la vie comme un dû, mais comme un don. Et tout don appelle à être offert à son tour.La gratitude devient alors mission, témoignage : l’annonce joyeuse d’un Dieu qui guérit, relève et sauve.

Oui, tout est grâce.
Et tout commence par un « merci ».

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