Homélie du frère Maurice Billet
Ce matin, nous entendons le récit d’un commencement : celui de la première mission confiée aux douze apôtres. Ils l’ont vu parcourir la Palestine, guérissant les malades, réconfortant les pauvres, pardonnant aux pécheurs. Et ils l’ont vu connaître des échecs. L’un d’entre eux nous a été mentionné dimanche dernier ; il s’est vu rejeté par les gens de son village. Nous nous rappelons cette célèbre phrase : « Nul n’est prophète dans son propre pays. »
Désormais ils ont reçu les mêmes pouvoirs que lui. Avec un programme et des consignes bien précis.
Aller deux par deux, n’emporter que le strict nécessaire, ne pas se laisser impressionner par la persécution inévitable, et « secouer la poussière de ses pieds » si nécessaire.
Aller deux par deux. Dans la coutume juive un témoignage n’était recevable que s’il était porté par 2 personnes au moins (Dt 19, 15). L’annonce de la bonne nouvelle n’est pas une affaire individuelle. Plus tard, les Apôtres garderont cette habitude : ainsi Pierre et Jean vont ensemble prêcher au Temple de Jérusalem (Ac, 1).
Deux par deux. Pour faire église, communauté. Quand 2 ou 3 sont réunis en mon nom. Et comme disait Jean Debruynne, « deux, c’est déjà un peuple ». Leurs mains guérissaient. Et une parole pour encourager. À leur contact, la vie changeait. Deux envoyés qui s’aiment sont le premier signe du fait que Dieu commence à régner dans les cœurs.
N’emportez que le strict nécessaire. « Il leur prescrivit de ne rien emporter pour la route, si ce n’est un bâton, de n’avoir ni pain, ni sac, ni pièces de monnaie dans leur ceinture. Mettez des sandales « semelles de vent », ne prenez pas de tunique de rechange. »
En entendant la consigne de Jésus, les apôtres ont probablement évoqué la nuit de la Pâque de la sortie d’Égypte, « la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. » (Ex 12, 11). La longue marche de l’Église, peuple de Dieu, commence ici. Elle exige mobilité, disponibilité, liberté d’esprit. Le bâton signifie aussi le pasteur, guide de son peuple.
Dans leur dépouillement, ils restent vulnérables. Ils doivent vivre dans la simplicité, la précarité, la pauvreté, la vulnérabilité, sans s’encombrer. Toujours prêt à partir. Prendre des risques, oser. Se lâcher. Les apôtres sont d’origine modeste. Le prophète Amos était vacher et cultivait des sycomores ou de figuiers. Consentir à toujours commencer.
À notre tour, il s’agit de prendre la route sans moyen. Dans une véritable rencontre, les moyens techniques deviennent inutiles. Plus d’ordinateur, de tablette, de téléphone portable, de Facebook, etc.
Secouez la poussière de nos pieds est l’expression d’éloignement, de séparation, mais aussi de respect de la liberté des gens. « Partez et secouez la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage » (Marc 6, 11).
La pauvreté des apôtres a un autre effet important : elle les oblige à avoir besoin des gens. Car il faut bien manger, boire, dormir. Donc les personnes qui faisaient confiance aux apôtres et qui se convertissaient à la Bonne nouvelle comprenaient qu’ils devaient les nourrir et de leur offrir l’hospitalité : accepter l’Évangile, c’était du coup accueillir les pauvres qui l’avaient proclamé.
Ainsi, comme les disciples de Jésus nous devons faire de même, vivre une sorte de nouvel exode qui est d’abord tout intérieur. Il nous convie à un retournement de notre cœur, lieu précis où Dieu a choisi de faire sa demeure.
Ils partirent et proclamèrent qu’il fallait se convertir. Ils chassaient beaucoup de démons, faisant des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient. Par la grâce reçue du Seigneur, ils exorcisent, ils peuvent délivrer du mal. Et ils oignent les malades – ce qui deviendra ce sacrement des malades.
Quant à nous, frères, nous avons la responsabilité de prendre la suite du Christ et d’annoncer son royaume, quelle que soit notre condition. Nous sommes là pour dire quelque chose de l’indicible. Nous témoignons sans pour autant imposer ce que veut le Père : que chacun de ses enfants puisse venir à lui en pleine liberté, comme l’a écrit Maître Eckhart : « Je demande à Dieu de me laisser libre de Dieu ». Notre exode intérieur commence donc dans la liberté. Osons parler tout simplement du bonheur que nous avons de croire en ce Dieu qui vit à nos côtés et qui nous accompagne sur nos routes humaines.
Comme le montre l’histoire des prophètes, l’envoyé est traversé, non d’abord par un message à transmettre, une bonne nouvelle à partager, mais plutôt par une présence qui l’habite. Seuls nous ne pouvons rien, à deux, ou mieux encore, avec Dieu, tout devient possible. Notre mission n’est plus alors une tâche à accomplir mais un don à partager. La foi est un merveilleux cadeau que nous n’avons pas le droit de garder pour nous.
Pour terminer, j’évoque la 2e lecture, tirée du début de la lettre aux Éphésiens, écrite par S. Paul.
Nous avons entendu peut-être la plus belle prédication de l’histoire chrétienne ! On pourrait l’appeler « L’hymne de jubilation » de Paul. Dans le texte grec, ces 12 versets ne forment qu’une seule phrase d’action de grâce. Paul y déploie la grande fresque du projet de Dieu, le rêve de Dieu pour chacun de nous. Il nous invite à nous associer à sa contemplation émerveillée. Ce projet divin, nous l’appelons « le dessein bienveillant de Dieu ». Il veut rassembler l’humanité pour ne faire qu’un seul Homme en Jésus Christ, à la tête de la création tout entière.
Dieu a, de toute éternité, projeté, rêvé de faire de nous ses fils, et des fils sauvés. Le psaume de ce dimanche est peut-être bien le meilleur écho à la méditation de Paul. « J’écoute : que dira le Seigneur Dieu ? Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles. Son salut est proche de ceux qui le craignent, et la gloire habitera notre terre. Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ; la vérité germera de la terre et du ciel se penchera la justice. Le Seigneur donnera ses bienfaits, et notre terre donnera son fruit. La justice marchera devant lui, et ses pas traceront le chemin. »
Le monde évoqué par le psaume n’est pas seulement un rêve. Il nous appartient de le réaliser, avec nos pauvres moyens. L’espérance ne se lasse jamais. Elle nous dit : Consentir à toujours commencer.