Homélie du frère Thomas-Marie Gillet – Dimanche 24 mai 2020
Chers frères et sœurs,
Le temps pascal s’achevant, la liturgie nous permet de revenir au cœur du mystère de la Passion et de la Résurrection du Christ. Nous n’avons pas pu vivre ensemble la nuit à la fois tragique et porteuse d’espérance du Jeudi Saint, mais nous y voici à nouveau plongés grâce à l’évangile que nous avons entendu proclamé et que nous sommes invités à méditer ; évangile tiré de la longue et dernière prière de Jésus à son Père contenue dans le chapitre 17 de l’évangile selon saint Jean : « Père l’heure est venue. Glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie » (Jn. 17, 1b). Quelle est donc la gloire de Dieu ? Saint Irénée nous l’enseigne : la gloire de Dieu, c’est l’homme debout, l’homme ressuscité, l’homme vivant de la vie éternelle (cf. Contre les hérésies, IV, 20, 7). « Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn. 17, 3). Et donc saint Irénée achève ainsi son propos : « La vie de l’homme c’est de contempler Dieu ».
Sur ce chemin existentiel, vital, de la contemplation de Dieu, on peut dire qu’il y en a un qui a réussi : saint Dominique. Le premier biographe de saint Dominique et son premier successeur à la tête de l’Ordre des Prêcheurs, le bienheureux Jourdain de Saxe, rendant témoignage de ce que fut la prière de notre Père indique : « Mais dans les heures de la nuit, nul n’était plus ardent à veiller, à prier et à supplier de toutes les manières. Ses pleurs s’attardaient le soir et sa joie le matin. Il partageait le jour au prochain, la nuit à Dieu ; sachant que Dieu assigne sa miséricorde au jour et son chant à la nuit. Il pleurait avec beaucoup d’abondance et très souvent ; les larmes étaient son pain le jour comme la nuit. Le jour, surtout quand il célébrait les solennités de la messe, ce qu’il faisait très souvent ou même chaque jour ; la nuit, dans ses veilles entre toutes infatigables. » (Libellus, n. 105). La nuit à Dieu et le jour au prochain. Voilà le double mouvement du souffle de la contemplation : inspiration, chercher à connaître Dieu et à Lui faire une demeure en nos cœurs ; expiration, annoncer la Bonne Nouvelle au monde qui en a tant besoin, rendre cet amour que nous avons reçu aussi contagieux que possible, le propager. Nos cœurs ne devraient être inquiets que d’une seule inquiétude, la seule qui vaut, celle qui empêchait saint Dominique de dormir : « Mon Dieu, ma Miséricorde, que vont devenir les pécheurs ? » !
Nous nous réjouissons éminemment de pouvoir nous retrouver ensemble, de voir à nouveau notre communauté réunie, de pouvoir surtout à nouveau communier ensemble au Corps et au Sang du Christ, nous nourrir du pain de la vie éternelle. Mais il nous faudra aussi tirer les leçons de ce temps d’absence et de distance qui s’achève. Si nous avons été malheureusement privés durant ces deux derniers mois de l’eucharistie, si nous avons subi en quelque sorte l’ablation d’un poumon, il nous a fallu respirer plus profondément avec le poumon qui nous restait, celui que soutient l’eucharistie : le poumon de notre vie de contemplation de Dieu et de prédication de la Bonne Nouvelle pour nous-mêmes et pour notre prochain. Alors tout à la joie de retrouver le poumon eucharistique faisons en sorte que le poumon contemplatif et apostolique continue de fonctionner. Je souhaiterais donc que nous puissions ensemble nous exercer à la respiration spirituelle. Première chose pour ce faire, trouver un point d’équilibre. Pour s’équilibrer le fr. Vincent de Couesnongle, Maître de l’Ordre de 1974 à 1983 avait une astuce : porter dans la main gauche la Bible (pour ceux qui ont de grandes mains, je rajoute ma touche personnelle en ajoutant le Rosaire, une prière non pas rébarbative mais bien un écho puissant de la Parole) et dans la main droite le journal. Maintenant que nous sommes ainsi équilibrés il s’agit de respirer. À gauche, inspiration : j’ouvre ma bible, je médite la Parole, j’apprends à connaître Dieu et celui qu’Il a envoyé, le Christ, j’apprends à entrer en dialogue avec l’Ami Divin. À droite expiration : j’ouvre le journal, non pas pour me désespérer, mais pour découvrir les signes des temps, apprendre de quoi ont soif les hommes et les femmes d’aujourd’hui, trouver le langage adéquat pour leur parler avec joie du salut offert en Jésus Christ, trouver les moyens d’étancher en vérité cette soif et d’être apôtre.
Frères et sœurs, monté au Ciel le Christ ne nous a pas abandonné. Il nous a laissé son Esprit, son Souffle. Demandons-Lui de savoir caler la respiration de notre âme sur ce Souffle pour que la mort du péché ne l’emporte pas et, si cela était nécessaire aussi, pour rassurer saint Dominique au Ciel : « que vont devenir les pécheurs ? », des vivants ! Amen.