Homélie du frère Nicolas Burle – Dimanche 12 juillet 2020
Frères et sœurs,
Connaissez-vous la parabole du volontaire Dom&Go ?
Rassurez-vous. Il n’est pas besoin de partir en mission humanitaire au Timor, aux Îles Salomon ou à Jérusalem pour vivre cette expérience.
Durant sa mission de 6 à 12 mois, tout volontaire Dom&Go passe par les quatre terres décrites dans la parabole du semeur. Exactement les mêmes mais souvent dans le désordre.
Quand un volontaire part en mission, il est plein d’enthousiasme.
Comme tous ceux qui commencent une nouvelle aventure.
À l’image des fiancés avant leur mariage, de parents avant une naissance,
À l’image de celui qui commence un nouveau travail,
Ou qui voit se profiler le départ à la retraite ou un nouvel engagement,
À la fois heureux et inquiet de plonger dans l’inconnu, il est comme un petit grain de blé jeté par le Semeur sans savoir où il va arriver.
En route pour l’aventure !
Tout est formidable, le petit grain grandit bien vite dans un pays où tout est beau et où le soleil brille.
Cela dure en général quelques semaines.
Mais faute de racines, il risque de sécher sur place.
Veut-il vraiment demeurer dans ce nouveau pays, dans ce nouvel engagement ?
Le monde d’avant semble si loin depuis son départ. C’est la première épreuve.
S’il choisit de demeurer, surviennent alors les premières difficultés, toutes ces ronces, tous ces soucis qui commencent à étouffer son enthousiasme. Elles lui font dire un jour… parfois dans un lieu paradisiaque pourtant : Mais qu’est-ce que je fais là ?
Quand on se frotte à la vie quotidienne, on se pique. C’est bien connu. On partait la fleur au fusil, par amour, on se retrouve un peu blessé et découragé.
Alors le Malin vient sournoisement susurrer à son oreille : « Mais enfin, tu perds ton temps. Tu serais plus utile ailleurs. Ici, tu t’ennuies. Si tu changeais de lieu, si tu changeais de ville, si tu changeais de vie, tu serais enfin heureux. »
Et tandis que les oiseaux du Malin picorent le petit bout d’espérance qui lui reste, notre volontaire est au fond du trou. Il a été semé, il est perdu.
Est-ce que mon choix était le bon ? Est-ce que ma mission est finie ?
Non elle commence !
On raconte ainsi chez les dominicains, l’histoire de ce novice qui, désespéré, vint voir un frère ancien pour lui déverser tout ce qu’il avait sur le cœur.
« Pourquoi continuer ? Les frères ne sont pas si spirituels, leurs conversations à table ne sont franchement pas passionnantes. Je voulais devenir un saint en entrant chez les Prêcheurs mais je vois bien que je n’y arriverai jamais ici. Il faut que je m’en aille. »
Et le frère sage de lui répondre : « Je suis très heureux que tu me dises cela. Maintenant que tu as fini de nous admirer, tu peux commencer à nous aimer. »
Vous connaissez ce novice, il est devenu Maître de l’Ordre des Prêcheurs. C’est frère Timothy Radcliffe.
L’amour est une déception surmontée. C’est quand nous nous confrontons au réel, que notre amour se dépouille enfin de ses illusions, de ses égoïsmes camouflés sous des élans sentimentaux. L’amour passe alors de l’esclavage de la dégradation inéluctable à la liberté de la gloire éternelle. On quitte la consommation pour entrer dans le don.
Pourtant, pour la première fois dans l’histoire de Dom&Go, comme pour nous tous, tout ne s’est pas passé comme prévu ces derniers mois. Des volontaires ont dû rentrer chez eux prématurément. Des départs ont été annulés ou reportés. Est-ce un échec ? Fallait-il rester malgré tout pour aller jusqu’au bout d’une mission devenue impossible ?
Non. On peut être rentré en France et avoir continué à être travaillé par sa mission. Il faut de toute façon parfois des années pour revenir après une telle expérience.
Je crois que ce confinement a été porteur des plus beaux fruits et des plus grandes blessures car nous ne pouvions plus fuir. Le réel s’est imposé et nous avons dû consentir à la place que nous avions pendant ces quelques mois. Nous avons dû assumer notre place. Nous l’avions peut-être fuie depuis des années cette place douloureuse, voilà la blessure qui doit être soignée maintenant.
Il nous fallait fleurir là où Dieu nous avait semés. Voilà le fruit qu’il faut récolter maintenant.
Il nous faut fleurir là où Dieu nous a semés.
Contemplons à nouveau notre semeur. Nous pourrions nous dire que sa méthode est irrationnelle. Pourquoi envoyer des grains un peu n’importe où ? C’est du gâchis. Serait-il maladroit ? Non, il est généreux !
Nous pourrions en effet nous tromper en pensant que la Parole de Dieu est semée sans défense face aux oiseaux, au soleil et aux ronces. Et que seule la bonne terre peut l’accueillir.
Mais la première lecture, le psaume et la seconde lecture nous disent exactement l’inverse. Seule la Parole de Dieu est active et transforme toute terre en bonne terre.
Seule la Parole de Dieu est assez puissante pour faire fleurir le désert.
Non seulement la Parole de Dieu prépare la terre, la laboure, l’irrigue mais elle bénit la moisson qu’elle a elle-même suscité en abondance.
Nous l’avons entendu : « Ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission. »
Dieu produit son œuvre en nous à la mesure même de notre désir. Ni plus ni moins.
Alors accueillons-la avec un grand désir.
Pour faire grandir votre désir, je vous invite à vous exercer cette semaine à prononcer les mots les plus difficiles à dire de la langue française. Des mots si difficiles à prononcer qu’on les entend rarement.
Le premier mot est « pardon ». Pardon à toi Seigneur, pardon à toi mon ami, ma femme, mon mari, mon frère, ma sœur, car je ne sais pas t’aimer. J’ai besoin d’apprendre à aimer et c’est pourquoi je viens à la messe. C’est mon école, là où j’apprends à aimer mon prochain comme le Christ nous a aimés.
Le second mot est « merci ». C’est le sens même du mot eucharistie.
Merci Seigneur de te donner à moi maintenant, corps et sang.
Merci Seigneur pour toutes ces personnes que tu as mises sur mon chemin et qui ont changées ma vie.
Merci Seigneur de me permettre de porter du fruit, ton fruit, en abondance.