Des murs dramatiques

Homélie du frère Benoît Ente, 26e dimanche du temps ordinaire, 29 septembre  2019

 

En janvier dernier, un film tourné dans le Nord a fait plus d’un million d’entrées au cinéma. Je suis sûr que beaucoup d’entre vous l’ont vu. Il s’appelle Les invisibles. Il raconte l’histoire de femmes SDF accueillies dans un centre d’hébergement. La plupart de ces femmes sont des actrices non professionnelles. Grâce au film, ces femmes qui vivent habituellement cachées dans les squats, les stations de métro ou les parkings souterrains sont sorties de l’anonymat. Louis-Julien Petit, le réalisateur met en lumière des invisibles et rejoint ce que Jésus fait dans la parabole d’aujourd’hui.

Le mur de l’indifférence

Dans la bouche de Jésus, le pauvre a un nom, Lazare alors que le riche reste anonyme. Entre le riche et Lazare, il y a un portail. Ou plutôt un mur, le mur de l’indifférence. Le problème du riche ce n’est pas d’être riche, c’est d’être indifférent. S’il avait su que Lazare voulait manger les restes de ses repas, il les lui aurait certainement donnés. Qu’est-ce que cela lui coûtait ? Son problème c’est qu’il ne le savait même pas. Il ne lui avait jamais parlé. Pour l’homme riche, Lazare est infréquentable, ou pire invisible, transparent.

Pourtant, à la fin de la parabole, l’homme riche semble devenir sympathique. Il se soucie du sort de ses frères et demande grâce à Abraham. Pourquoi ne s’est-il pas intéressé à l’homme devant sa maison ? Peut-être qu’il n’a tout simplement pas eu le temps. Trop occupé à organiser ses festins, à vérifier la qualité de la viande, à choisir son vin, à essayer différents parfums .

Et deux mille ans plus tard le risque est toujours là, que nous devenions une assemblée d’anonymes. D’autant plus que notre société consumériste est passée maître dans l’art du divertissement. Di-vertere tourner vers autre chose, tourner notre attention vers des futilités alors que notre maison brûle ou que notre prochain vit dans la misère. Nos fabuleux moyens de communication nous distraient au lieu de nous réveiller.

Briser la glace

Pour briser le miroir et rencontrer celui que je ne vois plus, une décision, un acte de notre volonté est nécessaire. Car les personnes qui vivent dans la misère ressentent de la honte. Ils ne crient pas tout haut leur souffrance. Avez-vous remarqué que Lazare ne dit rien de toute la parabole ? Non seulement il est invisible, mais en plus il est muet. Sans une démarche, un désir de notre part, les portails resteront fermés et les murs continueront à grandir.

Et ces murs sont dramatiques car, après la mort, ils restent. Le grand abîme que l’homme riche a entretenu avec Lazare de son vivant demeure au-delà la mort. L’homme riche se retrouve seul, isolé, un isolement qu’il s’est bâti sur terre. Oui, frères et sœurs, notre vie éternelle commençe  ici-bas.

A l’image de Dieu

Au ciel, Lazare, lui, bénéficie de la présence d’Abraham. Qu’a-t-il fait pour mériter ce privilège ? Rien. On ne sait rien, ni de sa vie antérieure, ni de sa foi. La seule chose que nous savons et donc la seule chose qui compte aux yeux du Père, c’est qu’il s’agit d’un homme, créé à l’image de Dieu, un homme malade en situation de souffrance abandonné par ses proches. Cela suffit pour toucher le cœur de Dieu. Cela suffit parce que le Père céleste voit dans Lazare le visage de son Fils Jésus souffrant et abandonné. Et nous comprenons ce qui a cruellement manqué à l’homme riche. Celui que le Père voit comme son Fils avait faim et il était malade. Or l’homme riche ne l’a pas nourri, il n’est pas venu le visiter.

Jésus ne nous raconte pas cette parabole pour nous culpabiliser. Les paraboles grossissent volontairement le trait. Elles mettent en scène des personnages extrêmes pour qu’ils frappent les esprits et que nous puissions facilement les garder en mémoire. La parabole est là pour nous habiter et inspirer nos actions. Sans doute dans une vie sommes nous tour à tour Lazare et l’homme riche. La parabole de Jésus ne vise pas à nous culpabiliser, elle vise à nous réveiller et à nous rappeler le sens de l’Eucharistie que nous célébrons.

Conclusion

En ce jour, ici et ailleurs dans le monde, Jésus nous rassemble autour d’une même table. Riches et pauvres, malades et bien portants, jeunes et vieux. Il veut que nous formions, non un groupe d’anonymes, mais un peuple, un corps uni par le lien de l’amitié. Il veut faire éclater les bulles dans lesquelles trop facilement nous nous enfermons. Il veut rendre visible, palpable son Royaume. Frères et sœurs, que cette Eucharistie nous donne la force et le désir d’aller vers ceux que nous ne connaissons pas déjà à la sortie de cette messe puis dans nos villes, nos quartiers, nos maisons. Amen.

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