Homélie du frère Nicolas Burle, 28e dimanche du Temps Ordinaire, 13 octobre – domandgo.fr
Frères et sœurs,
Avez-vous déjà été étrangers quelque part ? Confrontés à une autre langue, une autre culture ? Dans notre assemblée, les volontaires Dom&Go qui rentrent de missions humanitaires à l’étranger savent exactement de quoi je parle. Ils en ont fait le récit lors de ce WE aux autres volontaires qui vont partir en mission prochainement pour plusieurs mois en Afrique ou en Amérique Latine.é
Quand on arrive dans un pays étranger, on redevient un enfant. On est dépendant, incapable de parler et de lire, incapable de comprendre et d’être compris. Il faut tout réapprendre : comment demander à boire quand on ne parle pas le Fong au Bénin ou le Pijin dans les îles Salomon ? On peut faire des gestes, c’est vrai. Mais alors dites-moi comment, en gestes, demander l’horaire du prochain bus pour Dili la capitale du Timor oriental ? Car il faut réapprendre aussi tous les gestes du quotidien, les règles de salutation et de politesse et enfin trouver son chemin dans un monde inconnu.
Être étranger dans un pays est un exil intérieur mais c’est dans cet exil seulement que Dieu peut venir à notre rencontre. Tant que nous croyons tout savoir, tant que nous croyons connaître les bons mots, les bonnes attitudes à avoir, nous ne laissons pas Dieu nous accueillir chez lui.
Savez-vous pourquoi – je m’adresse notamment aux plus jeunes dans notre assemblée – Savez-vous pourquoi il nous arrive de nous ennuyer fermement et totalement à la messe ? Mais c’est évident : parce que la messe est une langue étrangère ! Si je ne mets pas tout en œuvre : toute mon intelligence, toute ma volonté, tout mon cœur pour apprendre cette langue et ces gestes, je m’ennuierai toute ma vie à la messe.
À la messe, nous ressemblons au volontaire Dom&Go moyen, très motivé certes, mais qui se surprend à s’ennuyer et bâiller quand il est au milieu d’un groupe d’autochtones. Parce qu’au début de son voyage, il ne saisit qu’un mot sur 10. Au mieux. Personne ne me parle. Rien ne me parle. Alors je m’ennuie et j’attends que ça passe ? Mais non, il faut apprendre !
La Parole de Dieu est aussi une langue étrangère qu’il me faut apprendre à parler en l’écoutant patiemment. Que peuvent signifier la Samarie et la Galilée si je n’ai aucune idée de la géographie d’Israël ? Que peut signifier la conversion d’un général syrien si je ne connais rien à l’histoire du peuple d’Israël ? Que peut signifier l’invitation de saint Paul : « Souviens-toi de Jésus Christ, ressuscité d’entre les morts, le descendant de David » si je ne sais pas qui est David ? Étonnamment, il faut beaucoup de temps pour que la foi devienne ma langue maternelle.
Frères et sœurs, avez-vous déjà été étrangers quelque part ? Oui bien entendu vous avez fait cette expérience puisque vous êtes chrétiens.
Nous sommes dans le monde mais nous ne sommes pas du monde. Peut-être trouvez-vous que notre société nous est de plus en plus étrangère ? Mais c’est une situation habituelle, originelle pour un chrétien. Nous avons vécu dans l’illusion que le monde, notre monde, était chrétien. Alors qu’il n’en avait que l’apparence. Connaissez-vous « la lettre à Diognète » qu’un chrétien anonyme écrivit à un de ses amis païens au IIe siècle ? Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les coutumes. Car ils n’habitent pas de villes qui leur soient propres, ils n’emploient pas quelque dialecte extraordinaire, leur genre de vie n’a rien de singulier. Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère. Ils prennent place à une table commune, mais qui n’est pas une table ordinaire. Ils passent leur vie sur la terre, mais ils sont citoyens du ciel. Nous sommes étrangers et étranges pour notre monde parce que notre cité se trouve dans les Cieux.
Ce lépreux qui revient vers le Christ pour rendre gloire est, sur terre, un Samaritain, un étranger pour les Juifs mais il manifeste qu’il est déjà en fait un citoyen du ciel. En se jetant face contre terre aux pieds de Jésus, puis en étant relevé, il offre sa terre au Christ. La terre dont il est maintenant couvert, lui qui est comme chacun de nous poussière et redeviendra poussière. Dans le bureau de Dom&Go, nous avons une tradition : de chaque pays que nous visitons, nous rapportons un petit pot de cette terre étrangère. Je me suis longtemps demandé d’où venait cette tradition. Et aujourd’hui j’ai compris ; le général Naaman nous a ouvert la route : « Permets que ton serviteur emporte de la terre de ce pays… » pour prier le seul vrai Dieu.
« Permets que ton serviteur emporte de la terre de ce pays »… car cette terre a été offerte au Christ par la présence d’un jeune chrétien français qui est parti dans une terre étrangère. Et j’espère que la terre de France sera rapportée par les deux volontaires que nous accueillons cette année : par Léo en Uruguay et Païas aux Îles Salomon. Cette terre est devenue ta terre, celle où tu as ri et pleuré, prié et servi. Là où tu as fait la rencontre du Christ vivant, Dieu fait homme, qui a marché sur notre terre. Lui qui a été enseveli dans notre terre et qui est monté au Ciel pour que la boue dont nous sommes faits soit accueillie au Ciel. Lui qui nous a dit que nous serions étrangers partout, certes, mais qu’il serait présent partout avec nous.
Alors maintenant, relève-toi étranger et va : ta foi t’a sauvé. Tu ne marcheras plus jamais seul sur la terre.