Judas

Homélie du frère Emmanuel Dumont – Mercredi saint 8 avril

Juda est un des personnages les plus connus de l’Evangile. On se demande pourquoi il a livré Jésus et on s’interroge sur sa culpabilité.

Les écrivains en ont écrit des pages. Par exemple Klopstock, un des pères du romantisme allemand. Il a écrit une véritable vie de Jésus, une épopée dans la grande tradition médiévale, avec son style à lui. Il évoque à un moment un rêve pendant lequel le diable parle à Juda. Le diable lui montre de grandes étendues, le Royaume de Dieu dont parle Jésus et lui montre la part qui lui reviendra. Je vous donne un petit extrait : « C’est là, Judas, le partage qui t’attend ! Tu frémis de colère et de rage !… Eh bien ! ose devenir l’artisan de ta fortune, de ta grandeur ! Les chefs d’Israël haïssent le nouveau roi, qui s’obstine trop longtemps à rester pauvre et méprisé ! Ils projettent sa mort !… Feins de seconder leurs desseins, livre-leur le Messie ! Ne crains point qu’ils l’immolent ; n’a-t-il pas dit lui-même qu’il était le fils de l’Éternel ! Force-le à se montrer dans sa toute-puissance ; qu’il anéantisse ses ennemis, et qu’il fonde enfin cet empire florissant dont il vous parle sans cesse. Alors tu seras le disciple d’un maître redouté, il te donnera la part qu’il te destine.» (Klopstock 1849, La Messiade, p. 64) Juda apparait marqué par la cupidité, certes, mais aussi par la Foi dans la divinité du Christ. Ce portrait est magnifique parce qu’il montre ce qui est mélangé en chacun de nous : une espérance parfois mal ajustée, et une foi dans la puissance du Christ. Voilà un Juda auquel nous pouvons nous identifier. Et comme les apôtres, nous pouvons dire : « Serait-ce moi, Seigneur ? »

D’autres auteurs s’interrogent sur la manière dont Juda participe au plan de Dieu. Jésus l’évoque en disant qu’il doit partir « comme il est écrit à son sujet ». Certes, on peut supposer que Juda ne se rendent pas compte de ce qu’il fait, et pourtant… Kazantzákis, a imaginé un dialogue entre Jésus et Juda, une connivence : « Ce monde va s’effondrer, qui est le royaume du Malin. Le royaume des cieux va venir ; c’est moi qui l’amènerai. Comment ? Par ma mort. Il n’existe pas d’autre chemin. Ne te cabre pas, Judas mon frère, dans trois jours je ressusciterai. […] – C’est nous deux qui devons sauver le monde. Aide-moi. ». (Kazantzákis, La Dernière Tentation du Christ, 1959, p. 433) Ce dialogue évoque de manière imagée ce rôle que Juda joue dans le plan de Dieu, dans le plan du Christ.

Ce dialogue me fait penser à un autre dialogue avec un autre Juda qui a aussi trahi. C’est le dialogue entre Joseph et ses frères, à la fin de la Genèse. Joseph s’est fait vendre, quasiment mis à mort par ses frères, dont Juda. Et voilà ce qu’il dit lorsqu’ils se retrouvent : «Je suis Joseph votre frère, dit-il, moi que vous avez vendu en Égypte.  5 Mais ne vous affligez pas maintenant et ne soyez pas tourmentés de m’avoir vendu ici, car c’est Dieu qui m’y a envoyé avant vous pour vous conserver la vie. » (Genèse 45). Le mal commis par un Juda sauve la descendance d’Abraham et le peuple d’Egypte, quand le mal commis par l’autre sauve l’humanité toute entière.

Alors prions pour que du mal il puisse toujours sortir un bien.

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