Compte à rebours

Homélie du frère Emmanuel Dumont – Dimanche des Rameaux 24 mars 2024

« Il s’est anéanti ». Il est tombé dans l’abime de la mort. Je connais quelqu’un qui s’est anéanti. C’est Julien, un détenu de 42 ans. Il s’est anéanti parce qu’il croyait qu’il était déjà « néant ». Il s’est anéanti parce qu’il pensait être aimé de personne, il manquait de cet amour si créateur qui fait sortir du néant. Donc Julien a mis fin à ses jours, il y a dix jours, à 4 heure du matin, seul. Son anéantissement n’était pas terminé. L’administration a traité son corps selon les procédures établies. Mais personne n’était plus vraiment concerné. Il était sorti de prison et pour le personnel, c’est comme s’il était libéré, il ne les concernait plus vraiment. Les pompes funèbres se sont occupées de l’incinération et du scellement de l’urne sur la pierre du caveau familial. La mort est toujours un anéantissement, mais là, il se poursuivait jusqu’après la mort. Pourtant, cette solitude dans la mort n’est même pas originale. Combien de personnes sont seules jusqu’aux derniers instants ?

Jésus a connu la même solitude que Julien. Lui aussi a été arrêté, or même quand c’est pour une juste cause, être arrêté, c’est toujours une épreuve. Lui aussi a été jugé, or même quand c’est à raison, être jugé, c’est toujours affreux. Jésus a la maltraitance, la solitude et l’abandon. « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Ici, la mort est l’achèvement d’une solitude et d’une épreuve abyssale. Un abysse que nous frôlons parfois dans la souffrance, la dépression, la maladie, la mort d’un enfant, l’injustice subie… Dans ces épreuves abyssales aussi, Dieu nous a précédé.

Alors vendredi, avec Denis, de l’équipe d’aumônerie et frère Dominique, nous avons pâlement imités Simon de Cyrène. Nous sommes allés prier sur la tombe de Julien pour lui rendre un dernier hommage, pour qu’il voit, depuis le ciel, qu’il était connu, qu’il était quelqu’un, qu’il était aimé. Nous n’avons pas été très original en perpétuant une tradition qui remonte à Tobie et aux confréries médiévales, qui se cotisaient pour se payer mutuellement des funérailles et prier les uns pour les autres et en particulier pour les plus pauvres. Nous n’étions pas seuls, les codétenus et les bénévoles de l’équipe d’aumônerie nous accompagnaient dans la prière. Et nous croyons que les parents de Julien étaient là eux aussi, depuis le ciel. Oui nous croyons en la résurrection. Nous croyons que la puissance d’amour de Dieu est non seulement créatrice, mais aussi recréatrice, pour l’éternité.

Croire en la résurrection, parfois c’est naturel, parfois c’est difficile. Saint Marc le dit à sa manière. Il termine son évangile sur le doute des saintes femmes, au tombeau ouvert. Mais saint Marc nous laisse des indices de la résurrection. Dans son évangile, la mort n’est pas une fin, elle est un début, le début d’une histoire à rebours. Je vous propose une relecture de la passion par la fin, comme dans le film Tenet, où les gens remontent le temps.

Quand Jésus crie que Dieu l’a abandonné, vous le savez, il commence le psaume 21, que les hébreux connaissent par cœur et qui se termine en disant qu’on proclamera la justice au peuple qui va naitre. Or c’est que fait le centurion au pied de la croix. Il proclame que Jésus était vraiment fils de Dieu et fait naitre un nouveau peuple, l’Eglise.

Quand Jésus est couronné d’épine et revêtu du manteau de pourpre. C’est sa royauté qui est monté. Lui qui juge les vivants et les morts, lui qui règne sur le ciel. Mais cette royauté nous dépasse et la dérision est peut-être le meilleur moyen d’en parler sans se prendre au sérieux.

Devant le grand prêtre, Jésus dit qui il est « je suis » et il annonce son retour : « Et vous verrez le Fils de l’homme siéger à la droite du Tout-Puissant, et venir parmi les nuées du ciel. » Au moment où Pierre le trahis, Jésus offre les prémices d’une théophanie à ceux qui l’accusent.

A son arrestation, ses disciples le lâchent, mais ce jeune homme qui part tout nu, n’est-ce pas une annonce du Christ ressuscité qui sort du tombeau, insaisissable, sans son linceul ?

A Gethsémani, oui, il y a de l’angoisse, mais il a aussi de la confiance, de la proximité, de l’amitié. Cette proximité entre le Père et le Fils, qui nous dit quelque chose de la vision béatifique. Oui les disciples s’endorment, mais Jésus leur révèle que si la chair est faible l’Esprit est ardent. Au cœur de leurs limites, il leur annonce qu’ils ont l’Esprit Saint.

Et ce dernier repas eucharistique n’est-il pas la première messe ? et les prémices du banquet céleste. Jésus bénis la coupe de l’Alliance, la même que Moïse a béni avant de voir Dieu sur l’Horeb. Oui, on y voit la trahison de Juda, mais on y voit aussi ce partage de la nourriture avec tous, y compris avec Juda. C’est comme dans nos réunions de famille, oui, on s’est dit des choses, mais on a partagé le même pain et c’est ça qui compte.

Et l’onction à Béthanie, est-ce l’onction d’un corps mort ou l’onction d’un Messie ?

Et je pourrais presque finir avec l’entrée à Jérusalem, cette entrée dans la Cité Céleste, dans la Ville éternelle, dans le paradis. Dans ce récit de passion où la gloire de Dieu perce, les deux disciples qui vont chercher l’âne pour préparer l’entrée messianique, les deux disciples qui vont préparer le banquet final, c’est nous. C’est vous. Deux par deux, nous préparons l’arrivée de Dieu en plénitude, dans ce monde où il semble se cacher.

La Passion du Christ est triste, mais cette tristesse se craquelle, se fissure, et les rayons de la vie éternelle la traverse, comme ces fleurs qui ressortent sur le noir du panneau devant l’autel. Oui, la mort de Julien est triste, comme une partie de sa vie, mais la vie éternelle, l’amour de Dieu tout puissant a transpercé pendant toute sa vie et s’y est faite présent. Son sens de l’Eucharistie en témoigne, lui qui m’obligeait à élever l’hostie pendant suffisamment longtemps pour qu’il ait le temps de chanter « corps du christ livré pour nous », « sang du Christ versé pour nous » ?

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