Homélie du frère Benoît Ente – 4e dimanche de carême – 10 mars 2024
Plus obstiné que Dieu c’est impossible. Il y en aurait beaucoup qui, à sa place, auraient jeté l’éponge. La Bible ne cesse de nous raconter pages après pages les rébellions du peuple de Dieu. Mis à part quelques exceptions, les hébreux dans leur ensemble ont un cœur dur face à leur prochain et ils restent sourds aux appels de Dieu. Mais le plus extraordinaire dans cette histoire, c’est que de son côté, Dieu, lui, n’abandonne jamais la partie. Il ne se lasse jamais de revenir vers son peuple pour lui faire miséricorde. Sans relâche, il envoie des messagers, des prophètes même si tout cela paraît inutile. Finalement, d’une certaine manière, il a la tête plus dure que son peuple et heureusement pour nous.
Mais ne croyez pas que cela ne concerne que les hébreux d’il y a 3000 ans. Cet état de fait est toujours d’actualité. Je prendrai juste un exemple que me suggère la première lecture. Il y est écrit « La terre sera dévastée et elle se reposera durant 70 ans, jusqu’à ce qu’elle ait compensé par ce repos tous les sabbats profanés ». Cette phrase signifie que la terre a été surexploitée, que les hommes qui l’habitaient n’ont pas respecté ses rythmes et ses temps de repos « les sabbats » comme le demandait la loi de Moïse. La dévastation de la terre nous est rapportée comme une conséquence de cette surexploitation. N’est-ce pas exactement ce que nous vivons aujourd’hui ? Et pourtant, nous ne changeons rien ou si peu. Cet exemple montre notre incroyable propension à détourner les yeux pour ne pas voir l’évidence.
Dieu voit bien que nous avons la nuque raide pour reprendre une expression biblique. Mais parce qu’il ne s’avoue jamais vaincu et qu’il est décidé à nous sauver coûte que coûte, il a imaginé un remède absolu, définitif à notre mal endémique, quelque chose dont nous ne pourrions pas détourner les yeux, quelque chose qui se trouve sur tous les continents, dans toutes les villes parce qu’il est rapidement devenu le signe des chrétiens du monde entier : la croix. Qu’est ce que la croix ? Au départ, la croix, ce sont des hommes qui font de la souffrance d’un homme un spectacle pour attirer les foules en mal de sensations fortes. C’est abject. Il n’y a pas de signe plus éloquent du mal qui règne sur le cœur de l’homme. Et pourtant, face à la croix du Christ, face à cette croix là, à cet homme là, il se produit une réaction inhabituelle qui s’apparente à un miracle.
Réfléchissons. Que voit le curieux avide d’images fortes qui s’est déplacé pour regarder le spectacle ? Il voit d’abord que cet homme sur cette croix, non seulement ne maudit personne, mais va jusqu’à pardonner à ses bourreaux. Il entend que cet homme s’en remet entièrement à son Dieu qu’il appelle Père. Il comprend alors que ce crucifié est profondément bon, une bonté contre laquelle la persécution acharnée des hommes ne peut absolument rien. Il comprend également que cette bonté lui vient de son Père. Alors cet observateur de la croix commence à se demander si ce qu’il a entendu de Jésus ne serait pas vrai. Il se demande si cet homme ne serait pas vraiment le Messie, l’agneau sans tache, le fils de Dieu. Et dès que cette pensée caresse son esprit, la lumière de la foi commence à pénétrer en lui et à ouvrir ses yeux.
Éclairée par cette lueur de la foi en Jésus, la croix devient pour notre observateur un itinéraire spirituel à double détente. D’un côté, elle lui donne à voir en face et en toute clarté le mal qui habite son cœur, le cœur de tous les hommes, notre cœur chaque fois que nous restons indifférent à la souffrance de notre semblable proche ou lointain. Et en même temps, celui qui regarde Jésus sur la croix voit l’amour fou de Dieu pour l’homme, un amour si grand qu’il donne à sa créature absolument tout ce qu’il a, jusqu’à sa propre vie.
Cet amour, cette infinie miséricorde, tel un baume précieux, guérit son âme, notre âme malade et nous donne le désir d’y répondre par toutes sortes d’œuvres bonnes. Et le miracle se produit, le simple observateur venu regarder un spectacle macabre, devient par pur grâce, par la foi, un homme nouveau, aimé, pardonné, envoyé. Il lui revient maintenant de continuer ce chemin dans la joie en rendant grâce. Oui sœurs et frères, il fallait bien que le fils de l’homme soit élevé pour que le monde, pour que notre monde soit sauvé.