Homélie du frère Emmanuel Dollé – Vendredi 1er mai 2020
L’Eglise fêtait le 1er mai les saints Philippe et Jacques, dit le Mineur, tous deux apôtres. En 1955 Pie XII décida d’y fixer la célébration de la solennité de saint Joseph artisan, dans le but de christianiser un jour dévolu au monde du travail.
Derrière les défilés, la propagande du socialisme athée prêchant la lutte des classes risquait en effet de détourner les fidèles du giron de l’Eglise pour les embrigader au service du communisme et de la révolution …
On pourrait appeler cela de la récupération ou de l’inculturation (terme chrétien utilisé pour désigner la manière d’adapter l’annonce de l’Évangile dans une culture donnée 🙂 Aucun texte de l’Écriture ne parle de la façon dont Joseph exerçait un métier. Juste une fois dans l’évangile de Matthieu (chapitre 13, verset 55) : N’est-ce pas le fils du charpentier ?
Heureusement, il n’est pas nécessaire de connaitre les détails de l’activité de Joseph pour solliciter son intercession pour tous les travailleurs, ceux qui sont employés et tous ceux, trop nombreux, que la pandémie et la crise mettent au chômage.
Oublions Joseph enfermé dans un rôle d’artisan et de travailleur manuel, coopérant par ses mains à l’oeuvre rédemptrice en gagnant le pain de la Sainte Famille et, avec Marie, en éveillant à la vie des hommes l’Enfant que Dieu lui avait confié. Institué pour cela modèle et protecteur des travailleurs chrétiens qui le vénèrent le jour où, dans de nombreux pays du monde, on célèbre la fête du travail.
Profitons de cette fête pour nous interroger sur l’identité de chrétien face au Travail (aujourd’hui et surtout dans la période post covid) et sur notre travail de religieux.
La Genèse lie travail à la chute «Avec beaucoup de peine tu en tireras ta nourriture tout au long de ta vie. … Oui, tu en tireras ton pain à la sueur de ton front.» La pénibilité peut être le résultat du péché originel, il n’est cependant pas nécessaire d’épiloguer pour reconnaître que le travail est une nécessité vitale : gagner son pain et permettre aux autres de le gagner décemment.
En même temps qu’il est pourvoyeur de salaire, le travail est d’abord un moyen d’accéder à la dignité. Comment nous chrétiens, comment nous religieux, participons-nous à la dignité des plus démunis et à la vie décente de leur famille?
Une théologie dévoyée verrait dans le salaire une bénédiction, une récompense accordée par Dieu aux hommes qu’Il estime bons (il conviendrait de dire à ceux qui s’auto estiment bons).
Nous ne sommes pas décideurs économiques; cela ne doit cependant pas nous enfermer dans le mutisme face aux écarts injustifiés entre le minimum vital (ou décent) pour certains et l’opulence pour d’autres.
Ce n’est pas une question de lutte des classes mais de justice dans le peuple de Dieu.
Jusqu’à présent, dans l’Occident épargné par la famine, il était relativement possible de travailler. Cela justifie-t-il d’oublier ceux qui, dans l‘impossibilité de vivre, sont acculés à abandonner leur pays, leur histoire et leurs traditions, leur famille, migrants que nous accueillons mal et que nous ne regardons que comme des profiteurs de notre système social. Cela n’est qu’un exemple sur l’immense réflexion à laquelle Joseph artisan pourrait nous inviter.
La pandémie a fait prendre soudain conscience du caractère primordial de certains métiers auparavant négligés et oubliés. Qu’allons nous faire de cette «découverte»? Suffit-il d’avoir de beaux discours et d’applaudir sur son balcon ?
A part l’un ou l’autre, nous ne sommes pas des travailleurs manuels, mais des annonceurs de Bonne Nouvelle. Nous n’avons pas de salaire mais sommes rémunérés entre autre par la considération de «nos ouailles» Ce n’est pas mal mais ce n’est pas le but; au service de qui, de quoi nos apostolats nous mettent-ils?
Où notre position de religieux nous place-t-elle dans la construction du monde post covid? Quelle responsabilité les chrétiens prennent-ils dans l’établissement de rapports sociaux plus justes? De quelle Paix allons-nous être artisans? Placerons-nous l’homme avant l’économie ? De cette période de pandémie qui pourrait n’être que celle d’une mort contagieuse, si nous faisions une étape de Résurrection?
Au Louvre une œuvre de Georges de La Tour montre Joseph charpentier. L’homme courbé, vrillant une pièce de bois, occupe plus de la moitié du tableau. Devant lui, un enfant assis tient une lumière cachée par sa main gauche. le visage illuminé de l’enfant fils de Dieu saute aux yeux du spectateur, Probablement La Tour avait compris que Joseph n’est pas le personnage central mais qu’il est celui qui accompagne.
Que saint «de l’ombre» nous aide à voir la seule vraie Lumière.