Une idée qui t’inspire ou une idée qui te possède ?

Homélie du frère Franck Guyen – Dimanche 18 octobre 2020

Notre pays, la France, vient d’être le théâtre d’un énième épisode de violence entre la pensée moderne et la pensée traditionnelle.

Il y a deux jours de cela, un Tchétchène musulman a estimé juste de tuer un enseignant en histoire et géographie au motif qu’il avait illustré son cours sur la liberté d’expression avec des caricatures du prophète Mohamed. Ces caricatures avaient été publiées en 2012 dans le journal satirique Charlie Hebdo en 2012 ; en 2015, deux islamistes radicaux avaient tué douze personnes dans les locaux du journal. Le jeune homme tchétchène pensait sans doute venger l’honneur de Dieu et de son Prophète.

Les journalistes de Charlie Hebdo de leur côté avaient estimé juste de publier des caricatures d’un homme vénéré par des générations de musulmans. Ils estimaient sans doute juste de passer par la caricature pour critiquer l’intolérance religieuse et la contrainte sur les corps et les âmes qu’elle entraîne.

L’enseignant de Conflans-Sainte-Honorine estimait juste de former ses jeunes élèves à l’expression de convictions contradictoires – religieuses ou non – dans l’espace public. Il a estimé approprié d’illustrer son cours par les caricatures publiées dans Charlie Hebdo.

Ma prise de parole veut se situer sur le plan religieux : qu’est-ce que la religion chrétienne peut apporter dans le débat à partir de ses ressources propres ? Elle ne cherche pas à faire écho à ce qui se peut lire dans le journal de Libération, du Monde ou du Figaro.*

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Dans l’Évangile d’aujourd’hui, Jésus désarçonne ses détracteurs par sa déclaration : « rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ».

Cela peut vouloir dire : « ne confondez pas Dieu avec les figures d’autorité et de pouvoir terrestres ». Ne réduisez pas l’idée de Dieu à une idée humaine du pouvoir absolutisée, sinon vous en faites une idole, et que fait l’idolâtre ? Il sacrifie des êtres humains à cette représentation du pouvoir humain qui le fascine.

L’idolâtre, c’est l’homme psychique dont parle saint Paul, l’homme qui regarde tout à l’horizontal dans des rapports de force, d’avoir et de pouvoir : « toi, tu es avec moi, tu es de ma tribu, de mon clan, toi tu crois comme moi, tu penses comme moi » et « toi tu n’es pas de ma tribu, de mon clan, tu ne penses pas comme moi, tu ne crois pas comme moi, tu n’es pas avec moi – tu es contre moi ».

La figure opposée à l’homme psychique, c’est l’homme inspiré par le souffle de Dieu, l’homme imprévisible parce qu’il lève les yeux vers le Ciel, parce qu’il sait ce monde traversé par la dimension verticale de la hauteur et de la profondeur

L’homme inspiré n’accepte pas de se laisser enfermer dans les visions binaires horizontales, il refuse de s’agenouiller devant les idoles, il ne hurle pas avec les loups, il ne bêle pas avec les moutons, il ne ressasse pas les mêmes haines recuites et resservies jusqu’à la nausée.

Il est disponible pour qu’advienne autre chose, qui entraîne vers le haut, qui élève, qui purifie, qui anoblit.

L’homme inspiré, comme celui qui arrive dans une pièce confinée et qui tire les rideaux, qui ouvre les fenêtres et les portes. De l’air, de la lumière, enfin. Autre chose, enfin, qui nous tire vers le haut et nous arrache à nos huit-clos étouffants.*

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Je conclus.

Mes frères et sœurs en Christ, je vous propose de conclure sur le Portement de Croix, un tableau du XVIe siècle attribué au peintre Jérôme Bosch (1450-1516), visible à Gand en Belgique.

On y voit le Christ portant sa croix, les yeux baissés. Il est l’homme inspiré, l’homme habité par la profondeur : il a le visage de quelqu’un profondément immergé dans sa méditation.

Autour de lui, des visages de possédés, agglutinés autour des deux larrons : le mauvais larron répond manifestement sur le même terrain que ses persécuteurs, il partage leur folie ; le bon larron souffre mais il reste silencieux, comme Jésus : il a entrevu le mystère de Jésus et il ne se laisse pas entraîner dans le délire du clerc tonsuré qui le harcèle.

Enfin, une figure mystérieuse, rayonnante, tourne le dos au flot hurlant et grimaçant : Véronique, elle aussi les yeux baissés, contemple le visage de Jésus imprimé sur son voile.

Jésus est l’homme inspiré qui a mené le bon combat jusqu’au bout, c’est maintenant l’heure des ténèbres où il ne sert plus à rien de parler. Jésus prie dans le silence : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font ». et encore : « Père, je m’en remets à toi maintenant pour révéler qui est le Juste ».

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