Homélie du frère Benoît Ente – 2ème dimanche du carême 2021 année B – La transfiguration
Avec le frère Jean-Laurent en septembre dernier, nous étions au monastère de Chalais pour nos journées de rentrée. Là-bas, nous avons entrepris l’ascension de la montagne des Bannettes. C’est un exercice très pédagogique. Nous avons d’abord dû nous équiper : des bonnes chaussures, un chapeau, de l’eau et un vêtement chaud. Ensuite pour arriver au bout, il nous a fallu de l’endurance face à la fatigue, du courage pour passer la cheminée, de la persévérance dans la longue marche à travers la forêt. Mais, une fois en haut, alors nous avons contemplé un paysage immense et dégagé. Nous prenions conscience du monde et de sa beauté. Nous étions dépouillés de tout, épuisés et pourtant tout nous était donné. C’est sans doute pour toutes ces raisons que dans la Bible, le sommet d’une montagne est souvent le lieu d’une révélation, l’aboutissement d’une longue maturation. Pensez au mont Horeb et au buisson ardent ou à l’expérience d’Elie, au mont des béatitudes, au rocher du Golgotha et nous pourrions continuer la liste. Mais pour aujourd’hui, je vous propose de parcourir trois sommets. J’en vois qui pâlissent. Rassurez-vous, vous n’aurez pas à quitter vos sièges, du moins pour le moment.
La première montagne vous l’avez tous devinée, le mont Moriah, celui que monte Abraham et son fils Isaac. Combien pénible a dû être cette ascension ! Abraham portant le fardeau de ce qu’il savait devoir faire et Isaac docile à son père, devinant pas après pas, ce qui allait se passer. Comment comprendre ce récit ? Je ne suis pas sûr qu’il faut essayer de le comprendre. Je crois plutôt qu’il nous faut y voir des flashs de vérité. L’incroyable confiance d’Abraham en son Dieu et l’obéissance de son fils. La révélation d’un Dieu qui a horreur de la violence encore plus lorsqu’elle est dirigée sur un homme, un enfant. Un Dieu qui veut l’homme vivant et qui attend de lui non un sacrifice, mais une offrande spirituelle. Sur cette montagne Abraham va comprendre qu’il n’a pas de droit de vie ou de mort sur son fils car son fils appartient à Dieu. Enfin le plus extraordinaire, ce récit nous présente la figure étonnante de ce qui va arriver 2000 ans plus tard, le sacrifice unique du Fils qui, sur le bois de la croix, donne sa vie pour le salut du monde. Un de ces récits qui nous fait dire que l’auteur de la Bible ne peut pas être qu’humain.
La deuxième montagne est tout aussi évidente. Le mont Thabor, le mont de la transfiguration. On s’imagine qu’arrivés au sommet il se fit un grand silence contemplatif. Or pas du tout, Moïse et Elie s’entretiennent avec Jésus. De quoi peuvent-ils bien parler ? Jésus discute avec l’Écriture. Il dialogue avec la parole vivante d’Elie et de Moïse. Jésus voit leurs gestes sauveurs. Ce que Elie a découvert sur l’Horeb : un Dieu qui parle non dans le fracas du tonnerre, non dans le spectaculaire, mais dans le murmure du silence. Ce que Moïse a découvert sur cette même montagne : un Dieu qui entend la souffrance de son peuple et qui appelle pour le libérer de son esclavage. Jésus voit le geste salvateur de Moïse et d’Elie et en même temps, il en voit l’aboutissement. Comment résister au mal sans en ajouter ? Comment dire son amour sans l’imposer ? Comment dénoncer la violence nichée dans le cœur de l’homme et dans le même mouvement pardonner, tendre la main pour le libérer ? Sur le mont Thabor Jésus voit et accepte la seule réponse possible à ces questions. Son consentement révèle sa divinité c’est-à-dire la plénitude de son amour.
Je vous avais promis trois montagnes et j’en vois qui n’ont pas oublié. J’y arrive. Pour la voir cette troisième montagne, il faut un peu d’imagination. Elle se trouve depuis le début de la célébration devant vous. Elle est constituée de l’autel et du sanctuaire surélevé où je me trouve. Voyez-vous au centre de cette église, cette montagne ? Nous allons tous nous retrouver à son sommet. Quand le pain sera consacré, alors il sera le corps du Christ. Or nous sommes le corps du Christ. Nous sommes toujours présents sur cette montagne, sur cet autel offert avec le Christ pour le salut du monde. C’est bien pour cela que nous le recevons en nous juste après. L’éclat du Christ sur le mont Thabor ne lui est pas réservé. Il nous le donne, il nous le communique. Cette montagne représente notre vie qui met à l’épreuve notre courage, notre persévérance, notre confiance. Une simple vie que le Christ transfigure par l’amour qu’il met dans notre cœur. Son amour transfigure tout ce que nous pouvons faire, tout ce que nous pouvons être. Si vous regardez le témoignage d’Anne Gauchet sur Carême dans la Ville, vous verrez comment la foi de cette médecin transfigure son quotidien.
Sœurs et frères, bientôt, viendra le moment de redescendre de la montagne pour être envoyé dans le monde. Un monde appelé à être transfiguré en ce que nous appelons le Royaume de Dieu, le monde de Jésus. Soyez en sûr, avec ou sans le covid, aujourd’hui même, ce monde vient. Il vient par le Christ, il vient dans nos vies, il vient par nos mains. Amen.