Homélie du frère Yves Habert – Solennité de saint Joseph 19 mars 2021
« Voici que l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse. »
Il existe deux catégories de personnes, avec leurs nuances : les rêveurs et les pragmatiques. D’un côté, ceux qui sont un peu différents de l’homme commun, un peu dans la lune, mais ils semblent favorisés d’intuitions qu’ils tirent non pas de leur propre expérience, mais de leurs rêves. On hésite parfois à leur confier nos intérêts matériels. De l’autre côté, nous avons des personnes douées d’un très grand sens pratique, ils se fient plutôt à leur savoir-faire qu’à leurs rêves. Ils sont très précieux pour débrouiller une situation, mais sont davantage du côté de la technique et ne font quelquefois pas rêver.
Dans l’évangile de Matthieu, Joseph, l’époux de Marie est favorisé de songes. Comme nous venons de l’entendre, il accueille Marie enceinte chez lui à la suite d’un songe. Plus tard, il partira en Egypte quand Hérode se fera menaçant et reviendra à Nazareth quand la crise sera finie, toujours à la suite de songes. Ne soyons pas étonnés, le songe est un moyen de communication habituel de la divinité dans la Bible et, plus largement, dans les civilisations traditionnelles.
L’époux de Marie me fait penser à un autre Joseph, le fils de Rachel, l’avant-dernier des enfants de Jacob. Un personnage considérable dont l’histoire occupe treize chapitres du livre de la Genèse. Lui aussi est favorisé de songes. Jeune encore, il livre à ses frères deux songes : gerbes de blé, soleil et lune s’inclinent devant lui (Gn 37) Cela lui vaudra le qualificatif « d’expert en songes » et la haine de ses frères qui le vendront à des marchands. Plus tard, en Egypte ses songes lui permettront d’arriver au sommet de l’état (en quelque sorte le Jean Castex de Pharaon !) et de sauver ses frères.
On le voit, chez le patriarche, les songes ne vont pas sans un certain pragmatisme.
L’époux de Marie est de la même trempe : un rêveur qui se double d’un pragmatique. Ne l’invoque-t-on pas dans nos affaires matérielles et de famille ? Pour saint Joseph, comme son homonyme, le rêve manifeste et signifie une disponibilité aux appels de Dieu. Nous n’avons pas le contrôle de nos rêves. L’espace est libre pour l’intervention de Dieu.
Le 8 décembre 1870, le pape Pie IX a proclamé saint Joseph patron de l’Eglise. Et me vient une idée. D’où vient une certaine désaffection de nos contemporains, au moins dans nos contrées, vis-à-vis de l’Eglise ? On dirait qu’elle ne les fait plus rêver. Comme m’écrivait quelqu’un pas très pratiquant : « Personnellement ce n’est pas quand je me sens pécheur que je me sens bien dans l’Eglise. C’est au contraire quand je participe du grand rêve auquel ses mystères nous invitent. » Il faudrait nuancer cette opinion. Mais invoquons le patron de l’Eglise, notre cher saint Joseph, pour notre Eglise. Qu’elle accueille avec une plus grande disponibilité le grand rêve de Dieu, pour le traduire à sa manière en offrant à tous les hommes non le rêve d’un salut, mais sa réalité que nous allons fêter à Pâques.