LA GUERRE N’EST PAS PERDUE !

Homélie du frère Jean-Baptiste Rendu – Dimanche 22 septembre 2024

« La France a perdu une bataille, mais la France n’a pas perdu la guerre ». Vous reconnaitrez là certainement la fameuse formule du Général de Gaulle qui en 1940, depuis Londres, d’une voix vibrante et insoumise exhortait l’ensemble des Français à ne pas se résigner face à l’occupant. Pour votre culture, sachez quand même que si curieux que cela puisse paraître, cette phrase n’a jamais été « prononcée » par le Général. On ne la trouve ni dans le célèbre appel du 18 juin, ni davantage dans ses discours des jours suivants. Mais peu importe ! Cette formule dit bien la tension qui se joue dans un conflit : une défaite à petite échelle n’entraine pas nécessairement la fin des hostilités. Et ce qui vaut pour une défaite, vaut aussi pour une victoire. L’actualité du conflit en Ukraine le montre assez bien….

Pourquoi, frères et sœurs, je vous parle de cela ? Parce que j’aimerais vous parler du temps. Pas de la météo vous l’imaginez bien, mais de « ce moment », de « cette période », de « cette époque » qui est donnée de ce vivre.

En réfléchissant sur l’histoire du salut, le dessein bienveillant de Dieu qui se poursuit dans le temps, un théologien français du début XX°s, Oscar Cullman, illustre sa réflexion en reprenant justement cette idée de tension qu’il peut y avoir entre une bataille gagnée et la victoire définitive. Il y a, dit-il, entre la victoire du Christ sur le péché et le mal (l’événement de la croix et de la résurrection) et « la parousie » (ce moment ultime et définitif où le mal sera définitivement vaincue), le même rapport qu’il y a dans une guerre entre la bataille décisive déjà gagnée et le Jour de la Victoire qui luira certainement, même s’il doit se faire attendre encore longtemps.

Cela permet ainsi de comprendre et de rendre compte de ce qui semble un paradoxe de notre foi chrétienne : à savoir que fièrement nous confessons et croyons en la Résurrection de Jésus. Un événement par lequel Dieu manifeste sa puissance victorieuse sur le mal. Et qu’en même temps nous sommes depuis 2000 ans les témoins impuissants de ce mal qui continue son œuvre maléfique dans le monde et dont nous en sommes, parfois, les premières victimes.

Frères et sœurs, si parfois ce paradoxe vous met en difficulté, voire en colère (une colère en soi légitime), sachez que vous n’êtes seuls dans cette situation et surtout, que vous n’êtes pas les premiers à butter devant ce paradoxe de la foi.

A entendre l’épitre de Saint Jacques que nous avions en deuxième lecture, il semblerait que les premiers chrétiens déjà vivaient de cette difficulté : pourquoi les guerres ? Pourquoi les conflits entre-vous ? Questionne l’apôtre ! Derrière ces questions, il faut y entendre la lamentation de l’Apôtre qui se désole de voir ces frères chrétiens se diviser, se déchirer jusqu’à s’entretuer à cause de leurs jalousies, à cause de leur convoitise. En somme il se désole de cette situation chaotique qui règne dans la communauté chrétienne, la signature du malin, alors que ces mêmes frères chrétiens ont reçu en plénitude la grâce du Seigneur qui n’est autre que le don de la Sagesse. Un don qui doit nous permettre de vivre ensemble dans la Paix et la Justice. D’un côté l’apôtre crie sa désolation de voir ses frères empêtrés dans les affres du mal, de l’autre il confesse sa foi en Dieu qui offre le don de la Paix.

Cette tension, on en trouve un écho également dans notre psaume. Un psaume que l’on l’attribue au roi David et qu’il aurait prononcé tandis que lui-même est aux prises avec le mal de la jalousie humaine. En effet, le roi Saül qui a d’abord traité David comme son fils, a peu à peu sombré dans une jalousie féroce à son égard et entreprend de le poursuivre pour le mettre à mort. Caché dans les montagnes de Judée sans espoir d’y réchapper, David n’a d’autres recours que de s’en remettre à Dieu dans une prière, qui est à la fois un cri de détresse et un cri de confiance en la puissance divine.

« Des étrangers se sont levés contre moi,
des puissants cherchent ma perte : ils n’ont pas souci de Dieu.
Mais voici que Dieu vient à mon aide,
le Seigneur est mon appui entre tous. » (Ps 53)

Un double cri donc ! le premier cri, c’est le cri d’un homme aux prises avec le mal ; le deuxième cri, c’est le cri de la victoire parce que Dieu ne peut manquer de venir au secours de son fidèle, Lui qui a déjà vaincu.

En ce temps qui est le nôtre, en certaines situations de nos vies, cette prière, ce psaume, ce cri, frères et sœurs, nous pouvons le faire nôtre !

Un cri, qui est à la fois l’expression de notre détresse face au mal, le désir de ne pas nous résigner (de lui résister, de ne pas entrer en tentation) ET, dans un même mouvement, un cri qui est l’expression de notre volonté de nous en remettre, en toute confiance, au Seigneur victorieux de tout mal.

Frères et sœurs, comme il l’annonce lui-même à ses disciples : « le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera » ; Jésus, le Fils de Dieu s’engage avec nous. Il est à nos côtés, dans la lutte contre tout ce qui ravage et détruit l’homme. Que le Mal est son ennemi !

Et ce n’est pas tout ! Car si le Seigneur prend le soin d’annoncer à ses disciples sa passion c’est pour les conforter, mais aussi pour les inviter à s’engager avec lui. Aussi cette annonce de la Passion, doit nous rappeler que cette victoire sur le mal passe, pour ses disciples et pour nous, par l’offrande de nous-mêmes.

Dès lors, à l’exemple de Jésus, ce n’est pas un surcroît de puissance qui nous donnera de vaincre, mais un surcroît d’amour. Ce n’est pas en écrasant les belliqueux que nous apporterons la paix, mais en étant nous-mêmes des artisans bienveillants et miséricordieux, œuvrant pour la justice. Et c’est à cette condition seulement que nous pouvons espérer vivre en paix.

Comme le disait l’un des frères de cette communauté, ici même, il y a quelques années : « la religion catholique n’est pas une solution meilleure que les autres aux problèmes de l’humanité. Elle n’est pas un système de puissance destiné à dominer les autres religions ni les autres idéologies. Elle n’est pas un système de contrainte qui s’imposerait par la force, fût-ce la force des arguments. La religion catholique, c’est la religion de l’amour accompli et servi jusqu’à l’extrême : ‘Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout ‘ et il donna sa vie » (Fr. Jean-Pierre Mérimée)

Donc oui, en bien des circonstances à bien des moments, nous pouvons avoir le sentiment que la bataille est perdue… La guerre ne l’est pas pour autant ! Grâce au Christ elle est même déjà gagnée !

Telle est notre foi et notre espérance ! Que cela ne nous dédouane pas pour autant d’intercéder pour nous-même et nos contemporains aux prises avec la violence, l’injustice et les guerres. Une intercession qui doit être aussi l’occasion de redire au Seigneur notre confiance en lui, victorieux de tout mal.

 

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