Par le frère Michel Lachenaud, o.p., prieur provincial de France
Mathias Grünewald, dans son retable de Colmar, campe Jean Baptiste aux pieds du Crucifié. Jean Baptiste est tout entier dans cet index prophétique tendu vers Jésus « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde », mais tout son ministère ne se réduit pas à ce signe gestuel, ni même au signe verbal qui l’accompagne. Le témoignage de Jean culmine dans son martyre. Par sa parole et par sa vie Jean éveille la foi d’Israël au Messie qui vient, qui est là parmi eux, Lui qui apporte la vie en plénitude. Cette mission du Précurseur est aujourd’hui la vôtre, mes frères, vous qui avez décidé d’être comme Jean des envoyés de Dieu pour préparer les hommes à être disponibles à le rencontrer.
Jean pour être l’homme de la Parole a dû se retirer au désert. Il vit au désert dans cette solitude qui conditionne tout approfondissement de soi et toute communion avec Dieu et avec le monde. La solitude est une expérience purifiante, nécessaire à toute existence spirituelle. Elle prépare l’ouverture à Dieu. C’est dans le désert que Jean entend la parole de Dieu. Car l’exigence de Dieu ne peut s’accomplir sans que l’homme ne se dépouille de lui-même pour se laisser « saisir » et envahir par l’Unique qui revendique l’être humain dans sa totalité. C’est ce don total de vous-mêmes, Olivier, Pierre-André, et Charles que vous faites aujourd’hui, après avoir pris le temps de vivre ces quatre années de discernement personnel et de découverte ensemble du chemin que nous propose Dominique. Comme Jean, il sera parfois nécessaire de vous retirer de tout pour vous retrouver face à face avec Dieu dans le recueillement et la méditation, de revenir au désert pour que Dieu parle à nouveau à votre cœur.
Certes vous serez habités par les cris et les angoisses des hommes que vous rencontrerez, comme notre père Dominique qui les portaient dans sa prière, mais sachez créer en vous un espace de désir du Dieu vivant. Dans ce monde vide de Dieu, if y a lieu de créer un autre désert où la rencontre de Dieu est possible. Aujourd’hui se joue un défi pour notre vie religieuse, être à la fois au cœur de ce monde, habités par les questions des hommes, et retrouver une vie de silence et de prière. Nous avons besoin de retrouver le lien entre la méditation et la mission, avoir la même audace pour la recherche de Dieu et la rencontre des hommes. Comme Dominique, sachons aller là où des hommes sont en recherche, mais comme lui sachons aussi nous trouver où Dieu nous attend.
Si Jean accomplit sa mission par la parole, sa vie confirme ce qu’il énonce. C’est sous le mode du témoignage que Jean accomplit sa tâche : « Parut un homme envoyé de Dieu. Il se nommait Jean. Pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui. Il n’était pas la lumière, mais le témoin la lumière » (Jn 1,6-8). Le témoin est une personne devenue parole car transformée par la Parole. Il a fait de sa vie une question et un appel susceptible d’être entendu. Le témoignage qu’il a à rendre, le rend conscient des limites humaines incompatibles avec le message qu’il a à transmettre.
On ne peut pas comprendre la vie et le ministère de Jean Baptiste sans tenir compte de cette exigence d’humilité et de transparence qui fait la qualité du témoignage vrai. Jean ne dit pas seulement qu’il n’est pas le Messie, mais il sait s’effacer et Jean conduit alors sa parole à ce point extrême où son existence devenue identique à son message a plus de force de provocation que toute parole dite. Préparant la route au Christ, Jean est pour vous mes frères le modèle du missionnaire ou du catéchète. Par son souci de s’effacer devant Celui dont il porte le message et qu’il doit annoncer, il rappelle que le Christ ne peut se manifester à l’homme que si son envoyé consent à s’effacer. Votre souci primordial comme frère prêcheur sera non seulement de parler au nom de celui qui vous envoie, mais aussi de mettre vos auditeurs en présence de la réalité de Celui qui vous envoie. Vous n’êtes que des serviteurs et tout apôtre doit faire sienne la parole de Jean : « Il faut que lui grandisse et que moi je décroisse » (Jn 3, 30). Comme c’est parfois difficile d’accepter de quitter un ministère pour que d’autres puissent le reprendre autrement !
Enfin par son emprisonnement et sa mort, Jean atteste qu’il n’y a pas de témoignage verbal qui ne soit en même temps un témoignage existentiel. C’est lorsque le témoin est vaincu en apparence que sa parole retrouve toute sa force de provocation. Ce que Jean Baptiste rappelle à chacun de vous, c’est d’être un témoin, un témoin qui ne donne rien mais éveille à une vie nouvelle, un témoin qui n’apporte rien mais qui par sa vie donne un sens à la vie d’autrui, car le témoin oblige à être plus.
Revenons au Tableau de Mathias Grünewald, au geste prophétique de l’index de Jean. Éducateur de la foi, il indique le chemin qui conduit au Christ. Il ne fait pas écran entre Dieu et l’homme il sert de tremplin. Dans votre vie apostolique il s’agira pour chacun de vous de faire route avec des hommes pour les amener à la rencontre personnelle avec le Christ dans la foi. Nous sommes tous appelés à être des « précurseurs ».