Homélie du frère Philippe Khoshaba, le 13 septembre 2015, sur Is 50,5-9a, Jc 2,14-18 et Mc 8,27-35.
Je ne ferai pas d’homélie, une sorte de commentaire rabbinique, mais plutôt un hymne à la beauté de la communion. Je commence donc par une histoire simple :
Durant la guerre entre l’Irak et l’Iran, qui a duré 8 ans dans les années 80, nous avions eu un témoignage formidable d’un groupe de prisonniers de guerre irakiens revenus d’Iran dans les années 90. Ce groupe était composé des prisonniers chrétiens et musulmans dans une des prisons. Ils recevaient, pour chaque jour, un gobelet de soupe et une petite galette sèche afin de la tremper dans la soupe ; c’était pour toute la journée, leur unique nourriture.
Or, un jour, un des prisonniers a créé des problèmes avec les gardiens, et on l’a mis dans un cachot d’un mètre carré, il fallait s’accroupir pour y rester 2 semaines sans rien manger. Le cachot était près de prison à quelques mètres.
Alors ses amis prisonniers ont décidé quelque chose d’extraordinaire : Ils se sont mis d’accord pour que, chaque jour, l’un d’eux sacrifie la moitié de sa galette sèche afin de la donner à leur ami isolé. Ils transperçaient la galette d’un trou et y mettait un fil, puis, faisaient de leur corps une échelle afin que l’un d’eux monte et lance la galette par la fenêtre à l’ami prisonnier. Quand la galette arrivait à bonne destination, le prisonnier déliait le fil pour manger, et ainsi de suite durant les deux semaines où il est resté emprisonné.
À son retour à la prison, à peine debout, il voyait tout autrement ses amis, ils étaient devenus comme des anges à ses yeux, et cette galette était devenue le pain rompu pour un monde nouveau. La communion était devenue, pour lui, son royaume partagé avec ses collègues. Et voici qu’il est devenu libre plus que tout autre être humain sur la terre.
C’est la rencontre entre Abraham et les trois hommes à Méméra, dans le livre de la Genèse. Il y a 4 mille ans, un homme a reçu Dieu pour une hospitalité orientale : c’était l’humanité qui recevait Dieu en partageant le pain. Et Dieu, pour la première fois dans l’histoire s’est endetté envers l’humanité, et Dieu ne l’a pas oublié, il a envoyé son fils, afin de rembourser sa dette aux fils d’Abraham. C’est pourquoi le Christ est devenu pain rompu afin de recevoir l’humanité dans sa chair. Depuis, l’être humain est humain car il participe à la vie divine dans sa chair. En effet, la vocation de l’homme est Dieu, selon le saint pape Jean Paul II.
Mais cet échange des êtres, cette réception de la chair du Christ ne peut pas advenir sans la communion entre les hommes et les femmes de ce monde. « Tu » est un autre « je » ; je dirais, « nous » c’est un autre « je », ou plutôt, « je » est un Autre.
L’hospitalité sacrée est un phénomène ancien qui se renouvelle avec chaque génération, sinon, l’humanité aurait perdu sa force et son existence.
Ce que les Français ont fait avec les familles irakiennes qui sont venues l’année dernière et cette année 2015, fuyant les Forces de Daech depuis la plaine de Ninive en Irak, est un geste sacré. C’est la France qui a commencé à accueillir les Irakiens, et ainsi, elle a montré la continuité d’une tradition d’hospitalité sacrée en France ou ailleurs. En effet, l’hôte c’est Dieu, surtout s’il est humilié, nu, en prison, malade ou chassé de chez lui. Dieu serait étranger s’il n’avait de rapport avec les hommes et les femmes.
Pourrions-nous dire : « Ne touche pas à mon étranger » ? En quelque sorte, nous sommes tous étrangers quelque part sur la terre, et avons besoin d’un accueil divin. Si nous ne recevions pas Dieu en l’autre, Dieu ne nous recevra pas, car l’autre est la communion entre nous et Dieu. Ainsi, il y aurait un écart énorme entre notre for (vie) interne et notre for externe. Notre vie serait une parole sans fin, sans œuvres et actes.
Donc, recevoir un étranger, dans la tradition biblique est, à vrai dire, recevoir Dieu. Et cela est un défi au monde contemporain qui dépend de l’organisation minutieuse et la structure économique efficace, ni moins, ni plus…
C’est pourquoi, accueillir un étranger, comme hôte chez soi, est un saut dans le noir, sans connaître les conséquences. Et cela est un difficile problème ! Jésus demande ce saut à ses disciples, car pour le connaître, il faut se tourner vers le for interne. Et cela est difficile pour Pierre et pour les autres.
Dans cet accueil inlassable de l’Autre, de Jésus, dans leur vie, ils doivent rencontrer le « moi » de Jésus. Car, en fait, le « moi » de Jésus est vide pour les disciples, il n’y a rien dedans, et a besoin d’être construit pour chacun d’eux. C’est ici que vient le don de l’hospitalité sacrée en soi-même. L’hospitalité sacrée est une sortie de soi afin de laisser l’Autre trouver sa place et habiter au-dedans de soi-même.
Dans les coutumes des nomades dans le désert irakien, on ne peut se renseigner sur l’identité d’un hôte qu’après 3 jours de sa présence parmi la tribu. Ainsi, les disciples doivent faire le plongeon avec Jésus, durant 3 jours pour connaître sa véritable identité.
À ce moment-là, Pierre, l’Église et nous, à l’égard de l’Autre comme hôte, nous pourrons dire « Tu es le Christ » qui vient nous visiter et proclamer : Dieu est en nous.