Ouvre-toi ! 🗓

duboisPour le 23e dimanche ordinaire, par le frère Franck Dubois
Sur Mc 7,31-37

 

Soupir…. Il y a de quoi soupirer parce que c’est la rentrée. Il va falloir s’y remettre, au travail, à l’école, soupir aussi en regardant l’actualité et en constatant que, non, ça ne va pas mieux. Et Jésus aujourd’hui soupire avec nous. Peut-être que lui aussi aspire à une pause, un répit. Mais le repos de Dieu n’est pas encore arrivé. Tant que des hommes souffriront sur terre, Dieu sera à l’œuvre. Son Sabbat attendra.

Jésus soupire auprès du sourd muet, car il en a assez de voir la déferlante des misères. Un malheureux de moins, pour lui tout a changé, mais qu’est ce qu’un sourd muet en moins face à ces foules de miséreux qui attendent encore qu’une bonne fois Dieu prenne pour eux sa revanche sur leur mal.

Revanche de Dieu ? Oui, et vengeance même. Oh, je sais, on n’aime pas beaucoup ce mot là. Et pourtant, soyons honnête. Une revanche peut très bien nous pousser à nous dépasser. Revanche sur un sort contraire. J’en connais qui sont allés très loin dans leurs études, juste pour prouver que, même issu d’un milieu modeste, on pouvait dépasser de loin les plus nantis, en travaillant. J’en connais que l’adversité a rendu forts. Mais j’en connais d’autre aussi, que la vengeance a perdu. Les enfermant dans des luttes stériles, des rancœurs sans fin. Il y a parfois, admettons le, une sourde violence et de la vengeance tapie en nous. Rien ne sert de faire semblant. L’injustice nous a frappés tôt ou tard. L’incompréhensible s’est abattu sans prévenir, sans raison. Et l’on sait où nous mène le plus souvent, malgré tout, le désir de se faire soi-même justice. Et l’on sait aussi que garder en soi une violence intérieure finit toujours par nous miner. Alors il est heureux, en fait, que quelqu’un s’occupe de nous venger.

Un autre. Pour éviter tout dérapage. Parce que faire sauter des temples ou des trains, ça n’a jamais vengé personne. Alors, comment venger, cependant, ce qui reste là, comme une balafre, au milieu de nos vies ? Et bien sûr, il n’y a pas que nos vengeances personnelles.

Comme si un petit enfant n’avait pas suffi, cet été, dans un camp à deux pas d’ici, une victime innocente. Il y a eu cette semaine à la une de nos journaux cet autre enfant sur la plage. Voilà Seigneur, effata, nos yeux se sont ouverts, un peu, beaucoup. Et même nos oreilles commencent à percevoir les rumeurs de ces foules déplacées, les pleurs, les cris. L’injustice du monde saute soudain aux yeux, à la figure.

Qui vengera ces victimes innocentes de la vie qu’on leur a volée ? Il y a, évidemment, les éternels candidats aux motifs douteux ou crapuleux. Mais il n’y en a qu’un qui pourra vraiment venger ces innocents : Dieu. Dieu tout puissant celui qui n’a besoin de prendre sa revanche sur personne, qui n’a pas besoin qu’on le venge, non merci. Mais Dieu, tellement uni avec les petits, tellement frère des miséreux qu’il ne peut les laisser en proie à l’injustice. Pour eux, il se lève : « Dites aux gens qui s’affolent : Soyez forts, ne craignez rien. Voici votre Dieu, c’est la vengeance qui vient. La revanche du Dieu qui vient vous sauver. »

Ça fait bien sûr froid dans le dos, car nous ne sommes pas toujours sûrs de ne pas faire les frais de la colère divine. Alors mieux vaut être du bon côté, c’est-à-dire celui des petits. Ou bien, ou bien sinon, pourquoi ne pas participer au combat ? Histoire de se rendre compte d’une chose essentielle : la vengeance des hommes, détruit. Celle de Dieu, reconstruit.

Voyez : Jésus accomplit lui-même la vengeance annoncée par Dieu : il fait voir les aveugles et parler les muets, il se donne sans compter et se livre lui-même. Voilà la revanche suprême, l’amour, le don. Nous serons jugés là-dessus, pas de doute : avez-vous participé à la revanche de l’amour sur la mort ? Avez-vous vengé l’innocent en donnant, comment vous pouviez, maladroitement peut-être, trop peu, d’accord, mais tout de même, donné de vous-même ? Avez-vous piétiné, fut-ce un jour, avec Dieu, l’horrible fatalisme, en cassant quelque barrière, franchissant quelque mur, en sortant de la réserve, de la prudence, de la peur ? Vous êtes-vous simplement agenouillé, à hauteur de mendiant, de malade, ou d’enfant ? Et pris leur défense, lorsque d’autres sans se baisser, les écraseraient sans voir ? Vos entrailles ont-elles frémi d’une juste colère, rien qu’une fois ?

Effata, ouvre-toi. Le sourd-muet aussitôt ne peut réprimer sa louange, et se met à bondir. Lorsque Dieu nous donne de voir, vraiment, alors nous n’avons plus le choix : on avance, on agit. Alors s’il nous reste ce matin encore un peu, beaucoup d’hésitation pour rejoindre Dieu dans sa revanche sur le mal, il nous reste à lui demander de nous ouvrir les yeux, les oreilles. Pour voir et entendre vraiment. Et alors nous n’aurons pas d’autre choix que d’agir.

Et oui, chers étudiants de notre foyer, pas le choix. La revanche passe par votre engagement inconditionnel. Il n’y a plus trop le temps, dommage, de tergiverser, de se demander si on le sent ou non. Allez, on ne vous reprochera pas de sortir le jeudi soir, de faire la fête le jour de la braderie. Non. Mais votre générosité, vos compétences. Tout ce que vous portez comme désir de justice, comme idéal de bonté. Ne le laissez pas dans votre poche, et surtout, gardez les yeux ouverts. Sur le monde tel qu’il est. On ne vous racontera pas d’histoire, en tout cas pas ici, dans cette église, ni dans ce couvent. On ne vous consolera plus avec des histoires pour enfants auxquelles de toute façon, Dieu merci, vous ne croyez plus. Mais on sera avec vous, pour vous apprendre à regarder le monde, à soutenir un regard sur le monde lucide, patient, intelligent. Un regard qui réveille, qui éveille en vous la passion, la soif. Un regard qui ne vous laisse pas tranquille. Qui vous embrase, et vous envoie, peut-être à l’autre bout du monde, ou juste au bout de la rue.

Effata, ouvre-toi. Ne t’enferme ni dans ton passé, ni dans ta solitude, ni dans ta rancœur, ni dans ton désespoir. Ouvre-toi, et rejoins-moi. Dans la revanche sur la mort. Dans la vengeance de l’amour.

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