Homélie du frère Franck Dubois
Christ Roi
Jésus, ta royauté n’est pas de ce monde, et on a presque envie de le regretter. Presque envie de dire, c’est un peu facile. En voyant combien aujourd’hui il est difficile de gouverner, combien exercer l’autorité est périlleux. Quelle fragilité dans nos institutions politiques, syndicales, ecclésiales. Face à une colère sourde, incontrôlable, inorganisée dans ce pays on se demande parfois si l’on en n’est pas revenu à la case départ où il faudrait tout reconstruire, des lieux de parole et de concertation, où la colère puisse se muer en prise de responsabilité, où les slogans utopiques et un brin naïfs se transformer en action, et se réaliser concrètement, en tenant compte du monde réel, avec ses contraintes et ses limites.
Jésus, tu ne pourrais pas revenir, avec ou sans gilet jaune, monter sur un cageot en bois, en haut d’un rond-point à Sangatte ou sur le Chams Elysées, pour venir mettre un peu de paix et surtout de raison dans tout ce chaos et ce mal être. Oh vous allez me dire : « Voilà qui est bien dangereux mon frère, en un tour de passe-passe d’autres que vous ont essayé le truc. ‘Jésus n’est pas là, je le remplace provisoirement, je vais parler en son nom, et vous dire ce qu’il faut faire en attendant qu’il revienne.’ Eglise et politique ne font pas bon ménage. »
Mais je n’ai pas cela en tête, seulement les paroles de Jésus : « Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. » Et je me dis : où est-elle cette vérité à laquelle Jésus est venu rendre témoignage ? peut-être qu’on l’a tellement foulée aux pieds, tellement relativisée, tellement doutée que cette vérité, que la vérité semble aujourd’hui en fuite. Et alors tout vacille, parce que plus aucun discours ne tient bon, plus aucune parole n’est amarrée au roc du vrai, au rocher imprenable de la raison, au consensus qui émane d’une parole sage. Des fake news au gilet jaunes, il n’y a qu’un pas. Non pas que la colère des manifestants soit fausse, ou qu’il faille la prendre de haut, mais la question demeure aujourd’hui : sur quelle vérité commune pourra-t-on construire un avenir commun ?
Jésus, ton Royaume n’est certes pas de ce monde, mais ta vérité l’est bien. Puisque tu lui rends témoignage. Et si c’est vrai, il serait temps de partir à sa recherche. Traquer cette vérité là où elle s’est retirée, parce qu’elle ne s’impose pas, parce qu’elle ne fait pas de bruit et que le brouhaha des klaxons et des explosions, ici ou à l’autre bout du monde, l’a couverte tout à fait. « Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix », peut être bien qu’en écoutant ta voix, on pourra la trouver cette vérité, lui appartenir même. Méditer la Parole de Dieu, c’est peut-être un premier pas, un premier remède pour essayer de débusquer le vrai du faux, l’éternel de l’éphémère. La vérité, elle est loin des passions, et même des émotions dont on finit par penser qu’elles sont l’alpha et l’omega qui guiderait nos conduites.
Ton Royaume n’est pas de ce monde, et ce monde n’est pas – encore – ton Royaume. Il faudra bien l’accepter un jour. Ici et maintenant nous ne pouvons pas tout avoir. Tu es Roi Seigneur, et notre soif d’absolu ne peut trouver qu’en toi sa réponse. Ici et maintenant la limite, forcément, s’impose en toute chose et dans nos modes de consommations d’abord. Nous ne pouvons pas continuer à piller la terre de ses ressources, à vivre bien au-dessus de nos moyens, comme si toujours il y aura de quoi satisfaire nos désirs immodérés. Nous ne pouvons pas penser que le monde nous appartient, à nous, les hommes et que nous pouvons en faire ce que nous voulons alors qu’il t’appartient à toi, Dieu, et que tu nous l’as donné pour le cultiver, non l’exploiter.
Nous ne pouvons pas continuer à nous déchirer, à se battre comme des diables pour les dernières miettes d’un gâteau qui ne cesse de se rabougrir. Parce que le Roi ne reviendra pas dans un monde où ses serviteurs se déchirent. Parce que le Roi ne reviendra pas dans un monde sali par nos usines polluantes, nos forêts décimées, notre béton dévorant. Parce que le Roi attend que nous lui ayons préparé un monde capable de son Royaume, de paix et de fraternité. Un monde beau et bon.
Alors… tu reviendras dans la gloire et alors tu nous demanderas : « qu’avez-vous fait de mon Royaume ? »