Homélie du frère Denis Bissuel
Frères et sœurs, la nuit peut nous sembler encore bien
longue, le monde ténébreux et l’horizon bouché. Il est des
jours où on ne sait plus très bien de quel côté se tourner ni
sur qui s’appuyer. L’Eglise elle-même est particulièrement
secouée, meurtrie, notre confiance peut en être est ébranlée,
et même Notre-Dame qui trône inébranlable depuis 8
siècles au cœur de la capitale a brûlé en quelques heures
sous nos yeux ébahis. On pourrait finir par douter de tout
et de tous, par être désabusé, voire devenir cynique.
Quelques femmes avaient suivi tout ce qui s’était passé :
un vrai drame, la passion, la mort de Jésus, sa mise au
tombeau. Comme bien d’autres, elles avaient mis leur
espérance en Jésus, il allait pouvoir enfin venir à bout de
l’injustice et de la haine, de la souffrance et des malheurs, et
même de la mort. On avait cru en lui, peut-être trop
naïvement, trop vite ; et maintenant il était mort, on l’avait
déposé dans un tombeau taillé dans le roc. Avec lui
disparaissait pour toujours le moindre espoir, tout allait
recommencer comme avant Le premier jour de la semaine, dans l’aube encore imprécise les femmes se dirigèrent vers le tombeau portant des aromates. C’étaient Marie Madeleine, Jeanne, une autre
Marie et d’autres encore. Il s’est alors passé pour elles
quelque chose de bouleversant, terrifiant même, que les
mots ne suffiront jamais à exprimer totalement, un
événement insaisissable et unique dont on parle encore,
comme une grande secousse, un tremblement de terre : la
pierre avait été roulée, le tombeau était ouvert, le corps
avait disparu.
Et cette parole venue d’ailleurs tout autant inattendue et
surprenante : Pourquoi cherchez vous parmi les morts celui qui est
vivant ? Il n’est plus ici, il est ressuscité. Rappelez-vous, dirent
encore les deux hommes rayonnant de blancheur, il vous
l’avait dit : il faut que le Fils de l’Homme soit livré aux mains des
pécheurs, qu’il soit crucifié et que, le troisième jour, il ressuscite.
Les disciples virent les femmes revenir du tombeau en
courant, le souffle court, balbutiant, ne trouvant plus leurs
mots : Il n’est plus là où on l’avait mis, oui, il est ressuscité d’entre
les morts, il est vivant, Alléluia !
Les hommes se dressèrent, sûrs d’eux-mêmes, prêts à les
molester, à faire taire ce qui ne pouvait qu’être radotage,
illusion ou délire. Mais si elles se taisaient, les pierres
crieraient. On n’enchaine pas la Parole de Dieu. Elle
résonne et se répand, Bonne et Heureuse Nouvelle, libre et
libérante, touchant les disciples incrédules au creux de leurs
questions, de leurs peurs et de leurs doutes.
Ils avaient fait le deuil de Jésus et ils ont soudain éprouvé la réalité de la Parole qui pris pour eux visage, corps du ressuscité. Ils en ont éprouvé sa présence et une joie irrésistible et profonde, leur vie en a été transformée et ils- ont proclamé à leur tour la Nouvelle, l’Evangile que nous entendons et proclamons encore aujourd’hui : Christ est ressuscité ! Christ est vivant ! Le Dieu de nos pères, Dieu de l’exode et de l’exil, a relevé d’entre les morts son enfant
bien-aimé, confirmant l’espérance biblique, accomplissant la
promesse.
Avouons-le, il ne va pas de soi, il n’est pas évident de croire en Jésus ressuscité des morts. Personne n’a été le témoin oculaire de l’événement de la résurrection. ‘Seule la nuit en a connu l’heure’, chantons-nous dans l’Exultet. Il ne va pas de soi de croire, sur le témoignage initial de deux ou trois femmes, sur la parole de quelques apôtres, que Jésus est vivant, que la mort n’a plus le dernier mot, qu’en Jésus- Christ un nouveau jour de lève, qu’il vaut la peine de l’annoncer.
Il a fallu aux disciples passer par le trou noir du tombeau
vide pour voir et croire. Il faut être passé par l’épreuve et le
feu, avoir connu des moments de questions et de doutes,
avoir été contré dans ses convictions et dans sa foi pour
percevoir, éprouver, entendre comme un murmure qui va
en s’amplifiant : Viens, lève-toi, tu as du prix à mes yeux et je
t’aime. Eveille-toi ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, oui, levez-vous tous car l’hiver est passé, c’est le temps de la Pâques.
Oui, l’heure est venue pour nous de faire confiance,
d’ouvrir nos cœurs et d’accueillir la vie nouvelle inaugurée
et offerte en Jésus-Christ. L’heure est venue de traverser
avec lui les grandes eaux baptismales, de passer sur l’autre
rive, de la mort à la vie, de la peur à la joie, de l’esclavage à
la liberté, des ténèbres à la lumière.
Célébrer la Pâque du Christ, c’est croire en la Vie plus
forte que la mort, en l’Amour plus fort que la mort, c’est croire que rien n’est impossible à Dieu.
Comment dire ce qui surgit là, franchissant les limites du pensable et raisonnable. Les aveugles voient, les sourds entendent, les affamés sont rassasiés, les déserts refleurissent, un sourire éclaire les visages fermées, les frères ennemis se parlent, l’église extirpe de son sein le vieux levain pourri, la communauté est édifiée, la maison de Dieu rebâtie. Christ est vraiment ressuscité.
Frères et sœurs, soyons des prophètes de la Résurrection.