Homélie du frère Denis Bissuel, dimanche 2 février 2020
Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole, car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples, lumière qui se révèle aux nations.
Frères et sœurs, le moment est venu, crucial, de l’histoire du salut, et Siméon a vu, il a vu ce que l’œil ne voit pas, il a vu le salut de Dieu. Dieu personne ne l’a jamais vu, on ne peut contempler que son œuvre dans l’histoire humaine. Siméon n’a rien vu d’extraordinaire, il n’a pas assisté à un prodige ou un miracle qui en ferait la preuve. Non, prenant l’enfant Jésus dans ses bras, il a vu la simplicité de Dieu et il a accueilli sa présence, et cela lui suffit. Il peut partir en paix.
Quarante jours après Noël c’est toujours le même mystère que nous célébrons, celui de l’incarnation : Dieu qui se fait l’un de nous sous les traits étonnants et pourtant familiers d’un petit enfant, Jésus, Fils bien-aimé du Père, né de Marie à Bethléem.
Aujourd’hui l’Enfant est présenté au Temple par ses parents venus l’offrir en conformité avec la loi de Moïse qui prévoyait que tout premier-né de sexe masculin devait être consacré au Seigneur. Pourquoi ? Si on te le demande, dit l’Ecriture, tu diras : c’est que le Seigneur nous a libérés de la servitude. Car la Loi à laquelle ils obéissent est délivrance. La libération de l’esclavage est pour le peuple un acte fondateur par lequel Dieu se révèle et que la loi vient sans cesse rappeler. La présentation de Jésus au Temple annonce l’offrande, le don qu’il fera de sa vie par amour de ses frères en humanité, acte de salut pour nous faire connaître la liberté des enfants de Dieu.
Siméon attendait l’événement que tous attendaient et dont Anne la prophétesse ne cessait de parler, le temps où Dieu viendra consoler et libérer son peuple en lui assurant enfin la paix et la prospérité. Ni prêtre, ni rabbi, ni lévite, il est venu au Temple poussé par l’Esprit Saint, c’est un homme juste, fervent, un fils d’Israël qui attend la promesse, totalement associé au destin de son peuple en attente. Sa parole est prophétique.
Il proclame Jésus lumière pour tous les peuples. Dans une lettre récente adressée à ses frères et sœurs dominicains, le fr. Gérard Timoner, Maître de l’Ordre, écrit que le verbe ‘accoucher’ se dit en italien et en espagnol ‘donner à la lumière’, et en tagalog ‘être donné à la lumière’. Et il ajoute : Marie n’a pas seulement amené son Fils à la lumière, elle a apporté la lumière au monde, à tout le monde, à Israël et aux païens, aux croyants comme aux non-croyants. Et c’est là l’inattendu, l’extraordinaire.
Avec l’Enfant dans les bras, c’est la nouvelle alliance dans les bras de l’ancienne, Siméon dévoile en même temps sur un ton dramatique le destin de l’Enfant et celui de sa Mère, car déjà comme à Noël autour du nouveau-né, se profile l’ombre de la croix : Voici que cet Enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction. Et toi Marie sa mère un glaive traversera ta vie.
Un grand étonnement passe dans le regard de Marie. La venue au monde de l’Enfant va trancher dans le cœur de chaque homme et de chaque communauté. Devant l’Enfant il va falloir se prononcer en vérité, se décider à l’écouter et à le suivre ou le quitter. Sa Parole, lumière sur notre route, révélera le fond des cœurs, la pente secrète de notre liberté.
Jésus nous montre la voie à suivre : devenir lumière les uns pour les autres, nous détacher de ce qui peut encore nous retenir, tout lâcher pour marcher à sa suite de Jérusalem à la Galilée des nations, toujours prêt à faire de notre vie une offrande par un surcroît d’amour et de pauvreté. Nous ne pourrons témoigner de la gloire du Christ qu’en acceptant d’affronter avec lui la contradiction, de traverser les épreuves de la vie dans la persévérance, la confiance et la foi, conscients du clair-obscur de nos cœurs partagés.
Et nous aujourd’hui, comme Marie et Joseph, comme Anne et Siméon, nous sommes venus nous aussi dans le Temple nouveau, fait de pierres vivantes, et nous nous présentons devant Dieu notre Père, nous lui offrons ce que nous sommes.. Nous présentons le pain qui deviendra pains de la vie, et le vin qui deviendra vin du Royaume éternel. Nous rencontrons Jésus-Christ dans la communion à son Corps et à son Sang, et cette communion est aussi communion fraternelle. Maintenant dans sa clarté nous nous découvrons frères, nous pouvons devenir à notre tour des lumières les uns pour les autres.
Frères et sœurs, si cette fête d’aujourd’hui est aussi celle dite de ‘la vie consacrée’, si elle est placée sous le signe de l’action de grâce, c’est parce qu’il est juste et bon de rendre grâce pour toutes les vies totalement données au Seigneur et aus frères, sous de multiples formes et charismes. Car il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.