« Je ne le connaissais pas »

Homélie du frère Rémy Valléjo – 2e dimanche du Temps Ordinaire – 29 janvier 2020

Selon l’évangile de ce jour, cette parole de Jean le Baptiste représente bien plus qu’une simple confidence.

C’est une confession.

« Je ne le connaissais pas»,qui, selon la tradition des Évangiles, est la confession du plus grand des prophètes, un homme troublé, bouleversé dans ses certitudes messianiques et qui, aujourd’hui, vient interroger nos propres nos certitudes.

Mais, aujourd’hui, avons-nous encore des certitudes ?

De nos jours, il est difficile d’être certains, voire assuré de quoi que ce soit, non seulement quand tout vacille, se défait et se dérobe autour de nous, mais aussi quand tout est systématiquement soupçonné, relativisé, balayé et piétiné.

Hier, au XXe siècle, le monde souffrait du totalitarisme des idées tranchées.

Aujourd’hui, au XXIe siècle, l’homme souffre du totalitarisme de la relativisation jusqu’à devenir la proie et l’esclave du non-sens.

Ce nouveau totalitarisme est certainement le plus grand défi de notre foi.

D’une part, il représente l’ultime déni des certitudes qui aujourd’hui encore peuvent nous aider à bâtir une société fondé sur le droit, la justice et l’espérance. D’autre part, il raidit, pétrifie et sclérose nos certitudes jusqu’à ne plus jamais laisser place au questionnement et à la plus simple confession d’humanité qui soit : « je ne sais pas ».

De nos jours, il est difficile d’avoir des certitudes, mais plus encore d’être fermement ancré dans des certitudes que nous soyons capables d’interroger au gré d’un « je ne sais pas ». Un « je ne sais pas » qui, dans le renoncement à une quelconque affirmation hâtive et revendicative, désigne le chemin d’une certitude renouvelée par une altérité dont nous ne saurions nullement répondre. « Je ne le connaissais pas. »

Au temps de la prédication de Jean le Baptiste, la civilisation hellénistique et romaine impose la toute première mondialisation, ou plus exactement, la toute première globalisation de l’humanité dans l’oikouménè, la « maison commune » du monde méditerranéen. Le monde politique, social et religieux d’alors devient un grand marché, ou sous couvert d’une norme impériale, tout est relativisée et se relativise. Au nom de César, Isis, Osiris, Jupiter, Sérapis, Astarté et Yahvé c’est tout un.

Dans la conscience collective du peuple Israël et des nations alentour, les certitudes religieuses ne sont alors pas moins ébranlés que dans nos consciences d’aujourd’hui. Certes, vrai fils d’Israël, Jean le Baptiste est loin d’avoir cédé à ce tout global de de son temps quand à Jérusalem, en Judée et au-delà du Jourdain, tout vacille, se défait et se dérobe. Cependant, il n’en demeure pas moins profondément bouleversé dans ses certitudes. Il reconnaît en effet ne pas connaître celui qu’il désigne en la personne de Jésus et qu’il n’a eu de cesse d’annoncer au monde et à ses disciples.

Je ne le connaissais pas.

Selon les Évangiles, Jean le Baptiste annonce un messie qu’il ne connaît pas. J’oserai même dire qu’il ne reconnaît même pas, tout au moins immédiatement. Dans la certitude d’un jugement des temps à venir présidé par un messie de feu, Jean le Baptiste se surprend lui-même à désigner « l’agneau de Dieu ». Il est bouleversé dans ses certitudes par le Tout Autre.

le Fils de Dieu lui-même, dont il n’a pas encore saisi l’identité profonde.

Non plus seulement bouleversé dans ses certitudes, mais anéanti, totalement anéanti lorsqu’il se trouve dans la geôle obscure de la forteresse du roi Hérode à Machéronte, Jean le Baptiste demeure néanmoins ferme, incroyablement ferme dans cette capacité qu’il découvre au plus profond de lui-même à se laisser renouveler dans ses certitudes. Car il y en lui, comme en tout homme, une capacité de rénovation aussi puissante que les puissances contraires qui sont à l’œuvre dans le monde qui est le nôtre. Dans cette capacité à se laisser rénover dans ses propres certitudes, Jean le Baptiste emprunte la voie empruntée par Isaïe le prophète et tous ceux et celles qui ont consenti et qui consentent encore à une « nouvelle création » quand Dieu « fait toute chose nouvelle ». C’est la voie que l’apôtre Paul découvre sur le chemin de Damas, mais c’est aussi la voie que saint Augustin choisit lorsque toutes les assurances et les certitudes de son siècle vacillent, se défont et se dérobent autour de lui lors de la chute de Rome en 410.

« Tu es étonné que le monde périsse ? C’est comme si tu t’étonnais que le monde vieillisse.

Il est comme l’homme : il naît, il grandit, il meurt. Oui, le monde vieillit, et ce ne sont partout que des gémissements d’opprimés. Mais réfléchis : n’est-ce donc rien que, dans la vieillesse du monde, Dieu t’ait envoyé le Christ pour te refaire quand tout se défait ? Le Christ est venu à l’heure où tout se défait pour te renouveler toi-même. Le monde créé, le monde institué, le monde destiné à périr incline vers son couchant. Mais le Christ est venu te consoler au sein de tes souffrances et te promettre un éternel repos. »

En ces jours où il faut bien avouer que tout se défait autour de nous, quand ce n’est pas en nous-même, nous sommes donc tous appelés avec Jean le Baptiste, saint Paul et saint Augustin à nous laisser renouveler dans notre connaissance de Dieu, dans le Christ Jésus qui demeure ce Tout autre que rien, absolument rien dans la « maison commune » du monde d’aujourd’hui ne peut définitivement soupçonner, relativiser, balayer ou même piétiner.

Qu’il nous soit dès lors donné de nous laisser renouveler dans nos certitudes et notre connaissance de Dieu.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *