Homélie du frère Emmanuel Dollé – Dimanche 19 avril 2020
Dans l’évangile de Jean, Thomas apparaît accompagné du qualificatif «jumeau».
On l’oublie cela pour retenir à son propos une formule devenue sentence
populaire je suis comme saint Thomas, je ne crois que ce que je vois. Il devient le patron des incrédules si je ne vois pas la marque, si je ne me mets pas la main … phrase aussitôt opposée à la remarque de Jésus heureux ceux qui croient sans avoir vu.
Et nous faisons cocorico, nous imaginant pour une fois dans une béatitude ; quand bien même le voudrions-nous, nous n’avons plus l’occasion de poser la main sur les cicatrices du Christ ! Alors nous ne sommes probablement pas meilleurs que Thomas !
Cet apôtre dit le jumeau est cependant un disciple à part, courageux, s’il ne
comprend pas il le dit avec une simplicité convaincante : où je vais, vous savez le chemin déclare Jésus et Thomas répond nous ne savons où tu vas, comment connaîtrions le chemin ?, audacieux dans ces actes : les disciples tentent de dissuader Jésus d’aller en Judée car les juifs cherchent à le lapider, Thomas est le seul à dire allons nous aussi et mourrons avec lui.
Après la mort de Jésus, Marie Madeleine vient annoncer qu’elle a trouvé le
tombeau vide. S’y rendent alors Pierre et un autre disciple. Rentrés au Cénacle ils continuent à se claquemurer avec les autres apôtres paralysés par la peur ; le soir même Jésus leur apparaît montrant ses mains et son coté. Cela ne déclenche pas chez eux une foi heureuse dans la Résurrection. Ce soir-là, Thomas a eu le courage de sortir. Quand il revient, rejetant un récit qu’il pense sous l’emprise de la peur, il a cette phrase relevant plus du bon sens et de la sagesse que de la foi ou la crédulité : si je ne mets pas mon doigt …
Une semaine plus tard, ils sont encore tous là sans que la Joie de la résurrection de l’apparition de Jésus les aient poussés à sortir ; ils demeurent craintifs et discrets (on voudrait les faire passer pour des modèles, en opposition au pauvre jumeau).
Jésus invite Thomas à avancer la main vers son coté. L’évangéliste ne nous dit pas s’il le fait contrairement à une partie de la Tradition et à saint Augustin. Quasiment toute l’histoire de l’art représente l’incrédulité de Thomas touchant la plaie de Jésus, quelques rares comme Rembrandt laissent une distance entre Jésus et Thomas, le doute faisant place à l’intériorité du chemin soudain du disciple.
L’évangéliste rapporte pas de geste mais une phrase exceptionnelle, unique
prononcée par Thomas le jumeau Mon Seigneur et mon Dieu. Ce disciple est le premier et le seul à proclamer la divinité de Jésus. Et vous voudriez en faire le champion du peu de foi ? Mon Seigneur et mon Dieu dit le jumeau !
Début de l’évangile de Jean : au commencement était le Verbe et … le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous et plus loin et les siens ne l’ont pas reconnu. Puis dans la suite des chapitres, Jean fait suivre les prédications du Verbe fait chair; nous n’y comprenons pas beaucoup plus que les disciples et autres suiveurs de Jésus. Difficulté à le reconnaître. Il faut attendre la fin de l’évangile pour que seul, le surnommé Jumeau reconnaisse que ce Verbe est Seigneur et Dieu.
Dites-moi tout sur Thomas, mais de grâce ne parlez plus de son incrédulité.
J’aimerais que la foi qui est mienne ressemble au prétendu manque de foi qui est sien.
Chaque fois que l’évangéliste parle de Thomas il précise Jumeau sans que l’on sache qui est l’autre.
Si c’était vous, si c’était moi. Lui, vous, moi, jumeaux, nés de l’Amour de Dieu, enseignés par le Christ, traversant un mélange d’humanité et de bon sens, un besoin viscéral de croire, l’intelligence de ne pas acquiescer à n’importe quoi, difficulté d’adhérer à ce qui semble anormal, porteurs simultanés d’exigence profonde et de sagesse naïve qui s’abandonne totalement. La foi naviguant entre le doute maîtrisé et l’abandon
consenti à ce que nous ne maîtrisons pas.
Saint Jean de la Croix dit que pour aller où on ne sait pas, il faut passer par où on ne sait pas. Pour aller à Dieu, plus imaginé que connu ou su, le passage par le doute est la route de l’apôtre Thomas vers la reconnaissance absolue de la divinité de Jésus.
Certains de ces traits nous rendraient jumeaux de Thomas.
Surtout on aimerait cette proximité gémellaire pour déclarer avec lui dans une assurance sans ombre Mon Seigneur et mon Dieu.
Pour cette phrase Mon Seigneur et mon Dieu, on se voudrait vraiment jumeau de Thomas.