Homélie du frère Jean-Pierre Mérimée – 32e Dimanche du temps ordinaire
1 R17,10-16 Mc 12, 41-44
La veuve de Sarepta …
Permettez-moi un souvenir personnel : Je ne connaissais pas ce passage du premier Livre des Rois avant mon entrée dans l’Ordre.
C’est le Père Besnard, à l’époque père maître des novices, qui l’a proposé à ma méditation un jour que je doutais d’avoir quelque chose de ma vie à offrir au Seigneur.
C’était en 1965, à la veille de mon entrée au noviciat et ce texte ne cesse de m’accompagner depuis.
Car je suis, et vous peut-être aussi, toujours perplexe devant des situations qui paraissent à vue humaine désespérées : des parents et des enfants séparés depuis si longtemps que le réconciliation paraît impossible, des couples qui divorcent, des dossiers de relogement urgents qui ne bougent pas depuis des années, des addictions multiples qui détruisent toute vie normale autour d’elles, des étrangers condamnés à l’errance, souvent au péril de leur vie, chassés de leur pays par la guerre et le besoin, rejetés de partout. Une planète malade. Une vieillesse qui tourne au naufrage… on peut prolonger la liste à l’infini du malheur du monde.
Devant ces situations dramatiques , nous sommes comme la veuve de Sarepta , dans un dénuement complet.
Il faut savoir qu’au temps d’Élie, comme au temps de Jésus, les veuves n’avaient aucun droit, ni d’héritage ni de pension et traînaient souvent une existence misérable. On comprend mieux la colère de Jésus contre ceux qui, accuse-t-il dans l’évangile de ce jour,« dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, font de longues prières.
ils seront d’autant plus sévèrement jugés. »
« Ils dévorent les biens des veuves » : par là, Jésus reproche à certains scribes de profiter de leur fonction ; les veuves leur demandaient probablement des conseils juridiques, moyennant finances . Paroles sévères contre tous ceux qui utilisent leur autorité religieuse pour voler les petits .
« J’ai seulement, dans une jarre, une poignée de farine,
et un peu d’huile dans un vase.
Nous le mangerons, et puis nous mourrons. » dit la veuve de Sarepta , qui partage néanmoins sa disette avec Élie.
La veuve de l’évangile de Marc, elle, « a pris sur son indigence, elle a mis au Trésor du Temple tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. »
Ces deux veuves ont en commun de ne rien garder pour elles, c’est ce que veut nous faire comprendre Jésus. Il ne s’agit pas de la quantité de l’offrande, mais que cette offrande représente le moyen pratique, concret, de leur survie. Comment vont-elles faire après ? Mourir dit la veuve de Sarepta. Comme la veuve du Temple qui, elle aussi a donné « tout ce qu’elle avait pour vivre » souligne le texte.
C’est cette générosité radicale qui va être bientôt imitée par celle de Jésus sur la croix. Elle est la figure même de la vie en Dieu, qui est d’aller jusqu’au bout, jusqu’à ce point de non-retour, cet abandon de toutes les dernières sécurités, cette traversée de la mort qui, dans un retournement, va s’ouvrir sur une résurrection, sur la vie, la vie en Dieu. C’est notre foi.
« Aimer,c’est tout donner et se donner soi-même » Nous le chantons, essayons de le vivre pour que le malheur du monde n’ait pas le dernier mot .
Je voudrais terminer en disant mon émerveillement devant tant et tant de résurrections, devant cette foi en Dieu, cette vie en Dieu dont je suis le témoin bouleversé au cœur de situations verrouillées. Tous ces visages amis, l’un avec sa bipolarité, l’autre privée de sa fille, l’autre encore en mal de compagnon de vie, tant et tant d’autres, affaiblis de tout, affamés et assoiffés de tout, assez évidés pour accueillir le bonheur des Béatitudes , à l’image de François, le saint écolo d’Assise, qui priait ainsi : « Loué sois-tu pour notre sœur la mort. » Pour naître au Vivant en Christ. Amen.