Le prieur provincial de la Province Dominicaine de France
Le prieur et les frères du couvent de Lille recommandent à votre prière
le frère Pierre HUGO, op
décédé le 16 avril 2022.
Homélie pour les obsèques du frère Pierre Hugo
Lille, 21 avril 2022
Les obsèques du frère Pierre Hugo ont été présidées par le frère Yves Habert, prieur. Les textes de la liturgie de ce jeudi de Pâques (Ac 3,11-26 et Lc 24,35-48). Le frère Michel Mallèvre, socius du prieur provincial, a prononcé l’homélie,
Chers parents du frère Pierre,
chers frères et sœurs,
chers amis,
En apprenant le décès de notre cher frère Pierre, en ce Samedi saint, entre la célébration de la mort du Christ et celle de sa résurrection, plusieurs d’entre nous se sont exclamés : c’est bien Pierre ! Il s’efface comme il a vécu, dans la discrétion, alors que la liturgie nous invite au silence.
Cette remarque affectueuse n’était pas seulement une manière de souligner un trait de caractère d’un homme dont l’aumônier militaire s’inquiétait, au début des années 50, que sa timidité ne nuise au rayonnement de son témoignage. En faisant une telle remarque sur le jour de son décès, ses frères dominicains voulaient surtout souligner l’humilité de Pierre, fasciné par la discrétion d’un Dieu respectant la liberté de l’homme et l’expérience spirituelle d’un prêcheur qui avait compris, en ceux qu’il accompagnait comme en lui-même, que ce Dieu se cache, nous invite à l’écouter dans le silence pour faire grandir notre foi.
Les lectures de ce jeudi de Pâques semblent à première vue bien éloignées de cette expérience. La première lecture nous rapporte le discours de l’apôtre Pierre plein d’assurance après la guérison du mendiant de la Belle Porte : C’est le nom de Jésus qui vient d’affermir cet homme, la foi qui vient par Jésus l’a rétabli dans son intégrité physique, lui, le Prince de la vie, que vous avez tué et que Dieu a ressuscité d’entre les morts. L’évangile, qui fait suite à celui de la rencontre de Jésus avec les pèlerins d’Emmaüs, raconte la manifestation de Jésus aux onze Apôtres et à leurs compagnons, en soulignant la réalité de la résurrection de celui qui leur montre son corps portant les plaies de son supplice et qui mange devant eux.
Dans ces deux passages de l’Écriture, trois éléments communs nous disent cependant, me semble-t-il, quelque chose de la vie de prêcheur de notre cher Pierre : le témoignage d’une présence ; la nécessité de revenir à l’écriture sainte pour en comprendre la signification ; l’appel à la conversion, à se tourner avec confiance vers Dieu.
Le témoignage d’une présence. Cet homme timide savait s’animer pour parler avec passion du Seigneur qui était entré tôt dans sa vie. Pierre a rapporté le cheminement de sa vocation dans une interview publiée dans le bulletin de notre province dominicaine, il y a dix ans. Certes, il avait été baptisé, il avait grandi dans une famille chrétienne marquée par sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, il fut enfant de chœur à la cathédrale de sa ville de Lisieux. Mais il y eut surtout une catéchèse sur le Christ et la folie de la Croix qui bouscula sa vie alors qu’il était élève de troisième : « J’ai éprouvé une sorte d’attrait à suivre le Christ qui va jusqu’au bout de l’amour. Avant de penser à être prêtre, j’ai d’abord désiré donner ma vie au Christ. » Il pense aux prémontrés, puis il rencontre la figure contemplative et apostolique de Dominique à travers le livre de Renée Zeller et une prédication marquante d’un frère du couvent de Rouen. Il sera dominicain ! Un peu plus tard, alors qu’il poursuivait sa formation au couvent d’études du Saulchoir, la liturgie le transportait, les hymnes grégoriennes lui faisaient sentir la présence de Dieu. À la veille de faire profession solennelle, il voulut vérifier s’il n’était pas appelé à la vie monastique. Mais « la vie apostolique a fini par s’imposer comme un impératif : prêcher restait pour moi fondamental ». Témoigner ainsi de sa rencontre avec le Christ fut le cœur de sa vie dominicaine, comme prédicateur de retraites, accompagnateur spirituel. Vous êtes nombreux à pouvoir en témoigner.
Les textes de la liturgie de ce jeudi de Pâques évoquent aussi la nécessité de réécouter la Parole de Dieu pour comprendre comment Il vient à notre rencontre au cœur d’une vie souvent tragique. Pierre ne fut pas un bibliste professionnel, mais sa parole était nourrie d’une méditation intense de l’Écriture, pas seulement son cher saint Jean. Il savait l’importance d’écouter ce que Dieu nous dit, auquel nous sommes trop peu attentifs. Nous connaissons la fresque de Fra Angelico présentant le Christ aux outrages, avec Dominique à ses pieds en train de méditer une Bible ouverte. Pierre lui ressemblait tant ! Son bel ouvrage De grâce montre-moi ton visage, qui était posé sur son cercueil, nous offre un magnifique parcours biblique. De la demande de Moïse de voir Dieu à la quête de Marie-Madeleine auprès du tombeau vide, il parcourt ainsi les étapes de cette recherche du visage d’un Dieu qui, avec pédagogie, prépare la grande rencontre de l’Homme avec sa Parole faite chair et conduit ses disciples à la maturité de la foi.
Les textes de la liturgie de ce jour rapportent enfin l’annonce par Jésus que la conversion serait proclamée en son nom, puis sa concrétisation dans l’appel adressé par l’apôtre Pierre : Convertissez-vous et tournez-vous vers Dieu ! Certes, Pierre ne fut pas de ces prédicateurs qui appelle à un changement radical de vie des hommes et des femmes dont il dénonce les grads péchés. Il était davantage sensible au murissement d’une vie qui progressivement se tourne vers Dieu. Sans culpabiliser, à sa manière pleine de délicatesse, il savait amener ses interlocuteurs à ne jamais se résigner à leur éloignement de Dieu, pour se re-tourner vers Celui qui, le premier, les attend. Dans un très bel article, en 1993, Pierre avait évoqué cette aventure de la rencontre avec Dieu et les étapes qu’il nous faut franchir :
« L’aventure de la foi n’est finalement rien d’autre que l’aventure de la fidélité d’un amour qui mûrit à travers les déceptions, les épreuves surmontées, à travers le « oui » redonné, toujours neuf à celui ou celle qu’on aime. Il y a, en effet, en toute vie de foi, comme en tout amour, un premier et un « deuxième appel », un premier et un deuxième « suis-moi », un premier et un deuxième « oui » donné au Seigneur […] Comme Pierre, dans notre suite de Jésus, nous sommes tous contraints un jour ou l’autre, d’entendre un « second appel », un deuxième « Suis-moi » Sans doute a-t-on perdu beaucoup d’illusions ; on a surtout découvert, jour après jour, notre pauvreté, notre fragilité. Mais notre enthousiasme pour le Christ a mûri, grandi. ».
Pour Pierre, ce nouvel appel a retenti lorsque, l’âge venant, les soucis de santé l’on éprouvé et que la perspective de la mort s’est dressée devant lui. Certes, il avait dit « oui » tout jeune. Un nouveau « oui » lui fut demandé. Dans l’interview à laquelle j’ai déjà fait allusion, il l’avait confié cette expérience. Ses paroles d’alors prennent aujourd’hui un singulier relief. :
« Je ne m’arrête pas à la pensée de la mort comme quelque chose de morbide mais comme à un passage difficile. La question de Thérèse à sa sœur Pauline « Comment vais-je faire pour mourir ? » est pour moi une vraie question. Ce qu’on redoute, c’est l’agonie. Jésus a vécu une agonie. Une nuit, avant une intervention chirurgicale, j’ai cru vraiment que c’était la fin. J’ai revécu tout mon passé et vu défiler les visages d’un tas de gens que j’avais connus. Je me suis dit : est-ce que c’est l’heure ? Je me suis défendu et j’ai dit à Dieu : non, ce n’est pas l’heure ! La peur de mourir est inévitable mais je crois pouvoir dire, d’après mon expérience auprès de malades en fin de vie, qu’après un premier moment de refus, tout s’apaise quand la mort approche. Le visage des morts exprime souvent une paix profonde. Sans qu’on sache comment, Dieu vient nous saisir. »
Dix ans plus tard, alors que sa santé l’avait contraint d’accepter de quitter ce couvent dans lequel il avait vécu une soixantaine d’années, Dieu est venu saisir notre cher Pierre, désormais en mesure de dire : « c’est l’heure ! » ou, comme Jésus dans l’évangile de Jean : « l’Heure est venue ». Long accouchement de celui que Dieu avait choisi comme témoin tout jeune et qu’il a fait grandir dans la foi tout au long d’une si belle vie de prêcheur.
« La mort, disait-il encore, est en fait notre vraie naissance – le dies natalis – le moment où, pour nous comme pour l’enfant, nous passons du temps de l’écoute au temps de la vision. L’enfant, en effet, dès le sein maternel, bien avant de voir sa mère, entend sa voix. Sa joie, à la naissance, c’est de reconnaître dans ce visage la voix qui lui parlait. Ainsi en sera-t-il pour nous : nous verrons la voix qui nous parlait ! »
Telle est désormais ta joie, cher Pierre ! Telle est notre joie pour toi.