Homélie du frère Yves Habert – Dimanche de Pâques 17 avril 2022
Ma question : mais où est passé le parfum ? Où ont-ils bien pu cacher les aromates ? (De fait, pas de reliques).
Ces femmes matinales, Marie de Magdala et l’autre Marie, n’ont pas pu aller au tombeau les mains vides ; ça ne se fait pas ! Au cimetière on arrive avec une fleur, un petit râteau enfin quelque chose…
D’ailleurs, ce n’est même pas envisageable de laisser un mort dans cet état, sans un minimum de toilette. C’est une affaire de décence, de respect.
Avant, il n’y a pas eu le temps. Vendredi, tout est allé trop vite, samedi c’était impossible… Reste le dimanche, le premier jour de la semaine, pour aller honorer son corps.
Quand la mort frappe aussi brutalement, il est important qu’il y ait encore des choses à faire. D’ailleurs, ça nous aide bien pour le travail de deuil.
Les effluves évangéliques du parfum : « Si elle a répandu ce parfum sur mon corps, c’est pour m’ensevelir qu’elle l’a fait » (Matthieu 26,12) Marc précise l’achat à l’aube (Marc 16,1) et Luc écrit qu’elles vont à la tombe en « portant les aromates qu’elles avaient préparés. » (Luc 24,1) Avant on a parlé parfum mais après plus personne n’en parle. On dirait que le parfum s’efface devant l’annonce de la résurrection. Puisqu’il est devenu inutile… pourquoi devrait-on continuer à en parler ?
Le Christ : l’être parfumé par excellence : « Dès qu’on s’intéresse de près à la vie du Christ, on voit qu’elle est encadrée par des parfums. À sa naissance, il y a la myrrhe offerte par l’un des rois mages. Et après sa mort, les aromates que les femmes amènent au tombeau. » Anne Lecu Dans Luc 7 et Jean 12, les pieds sont déjà parfumés. Les pieds sur terre, l’incarnation, toute la vie du Christ est sous le signe du parfum.
Mais le parfum est un signe et je veux faire le pari qu’un rôle mystérieux demeure ???
La terre : Alors, ces parfums, ces aromates ont-ils été abandonnés pour ne pas ralentir la course ? Dans cette peur qui les a saisis ils sont restés là, sur le Golgotha. Ils ont peut-être été renversés, répandus dans la hâte d’aller l’annoncer. Alors, au lieu d’oindre son créateur, ils pénètrent la terre qui est sortie de ses mains pour la parfumer en vue de son ensevelissement. Elle aussi devra mourir pour renaître en Dieu. Toute la création doit passer par la mort pour participer à la résurrection finale. Elle gémit en attendant la révélation des fils de Dieu (Rm 8).
Evangélisation : S’ils n’ont pas été répandus sur la terre, alors ces aromates ont été gardés pour parfumer la parole initiale. (« notre parole sent trop souvent la sueur pas assez le parfum » Mgr Rouet) Il me plaît d’imaginer que les apôtres en les entendant parler ainsi, en les voyant craintives et pleines de joie ont aussi senti quelque chose. Les aromates pour la mort qu’elles tiennent encore dans leurs mains racontent le surgissement du vivant. Ce parfum parle pour elles, en faveur de leur témoignage ; car, pour les apôtres, il devient évident qu’il s’est passé quelque chose. L’inutilité de ces flacons pleins en est la preuve : « Regardez, sentez… vous voyez que ce parfum n’a pas servi pour son ensevelissement. »
Ne pas la ramener ou se servir de la religion au passage : quand tu jeûnes parfume-toi la tête (Mt 6)
Autre chose : le parfum est l’image même d’une chose qu’on ne peut pas garder pour soi. Le témoignage de ces femmes est une bonne nouvelle qui se mêle à des effluves de parfum. Alors, il apparaît au nez et à la barbe des apôtres que rien, ni les persécutions extérieures, ni notre médiocrité foncière… que personne ne pourra empêcher ce parfum de se répandre. Il n’y a pas de digue pour contenir le parfum d’une mer invisible.
Eglise : Dans Matthieu et Marc, la tête du Christ a déjà été parfumée (Matthieu 26,6) Alors puisque la Tête, le Christ, a été parfumée ; le Corps, son Eglise, doit l’être aussi. Puisque le Christ a présenté la bonne odeur de son offrande au Père, alors l’Eglise doit faire de même.
Ces aromates ont été gardés aussi pour parfumer l’Eglise, définitivement et pour toujours. Tout au long de l’année, et pour les adultes à Pâques, la bonne odeur du Chrême se répand sur la tête de ceux qui reçoivent le baptême. Des confirmés de tous âges s’en vont répandre la bonne odeur du Christ. Et les saints « mourir en odeur de sainteté. » Le parfum est une image de la grâce se répandant largement. Une générosité légère.
Ces aromates n’ont donc pas été perdus pour tout le monde ! Si le corps du Christ n’en a pas eu besoin la terre, la Parole et l’Eglise en ont bien profité. Mais tous nous pouvons aussi en prendre notre part, être « la bonne odeur du Christ. »