Homélie du frère Emmanuel Dumont – Solennité de l’Ascension 26 mai 2022
Est-ce que certains d’entre vous ont vu le film d’animation, inspiré d’une bande dessinée de Taniguchi : « Le Sommet des dieux » ? Il est sorti l’année dernière. C’est un film de montagne. Il raconte des histoires d’alpinistes, qui parcours le monde pour atteindre le toit du monde.
La gloire d’en haut
Les dessins sont sublimes, on y voit la montagne dans toute sa gloire, dans toute sa pesanteur, avec ses masses de pierre énorme, cette impassibilité qui traverse le temps, et dans toute sa hauteur, elle qui frôle traverse les nuages pour toucher le ciel.
On comprend pourquoi les anciens se représentaient les dieux comme vivant dans les hauteurs. On comprend pourquoi Dieu est apparu à Moïse sur un sommet. On comprend pourquoi, dans les évangiles, Dieu est représenté dans le ciel. Quand saint Luc dit que Jésus a été « emporté » ou « enlevé », qu’il s’est « élevé », ou quand la lettre aux hébreux dit qu’il est « entré dans le ciel », ils disent que Jésus est entré dans la gloire de Dieu.
C’est Jésus lui-même qui parle de cette entrée au ciel. Il en parle par exemple lors de son procès, en saint Marc : vous verrez le fils de l’homme siéger à la droite de Dieu. On en reparle ensuite souvent, par exemple Etienne, au moment de sa mort, voit le ciel s’ouvrir et « Jésus debout à la droite du Père ». L’Ascension nous redit la divinité du Christ : le Fils est comme le Père, de nature divine, et avec lui, il veille sur nous.
Une parenthèse ?
L’histoire qui a commencé à l’Annonciation se termine à l’Ascension. La semaine dernière, je prêchais pour des professions de foi et en relisant le credo, j’avais vraiment l’impression que notre credo, notre foi, racontait l’histoire du monde, depuis la Création jusqu’à la vie éternelle, avec un évènement histoire au milieu : l’histoire de Jésus : la présence réelle de Dieu parmi nous, en chair et en os, pendant quelques années. Comme si l’histoire se terminait là. Tout revient dans l’ordre.
Dans le film inspiré de Taniguchi, escalader les montagnes, c’est une vraie quête mystique. Les héros n’aiment pas leur vie dans la grisaille et la foule des cités japonaises. Le seul endroit où ils ont l’impression de vivre, c’est quand ils montent les montagnes. Et vous, quand est-ce que vous avez l’impression de vivre en plénitude ? Eux, c’est seulement en pratiquant ces sports extrêmes qu’ils ont l’impression de vraiment vivre, en l’occurrence, ils en meurent. On nous présente des héros qui, pour chercher à vivre, frôlent la mort et la rencontre frontalement. Ils disparaissent en montagne les unes après les autres et ne survivent que dans la mémoire de leurs proches. Pour eux, l’ascension est la fin de la parenthèse. A la fin, on a un peu une impression de néant.
Vide et mission
Mais justement, dans l’histoire de Jésus, ce n’est pas pareil. C’est même le contraire. L’histoire de Jésus commence par le néant et finit par la plénitude. L’hymne aux philippiens résume l’histoire en deux mots : « lui, de condition divine », « il s’est anéanti », et « Dieu l’a exalté ». En Jésus, Dieu s’est anéantit pour nous remplir de son amour, de sa vie.
A l’ascension, Jésus disparait de nos regards pour être présent d’une autre manière : il nous laisse la place. C’est ce que nous disent la finale des évangiles.
La finale de Luc que nous venons de lire : Jésus envoie en mission avant de disparaître du regard. La finale de Marc (la finale originale) : le corps du Christ a disparue du tombeau et un ange envoie les femmes en mission témoigner de la résurrection auprès des disciples. D’ailleurs les disciples ne les croient pas, comme si la nouvelle présence du Christ était aussi dans l’échec de nos missions. La finale de Matthieu : Jésus envoie en mission et affirme qu’il est « présent » jusqu’à la fin du monde. C’est une bien drôle de présence éternelle, qui ressemble plutôt à une absence, à moins que ce soit par notre mission qu’il est présent. La finale de Jean : on se dispute pour savoir si Jean demeurera jusqu’au retour du Christ. Jésus parle de son retour, et dans le même mouvement Jean raconte comment lui-même vit la mission, en racontant la vie du Christ, en la rendant présente pour nous par le livre de l’Evangile.
Si l’annonciation, l’incarnation, c’est l’anéantissement de Dieu en Christ pour nous remplir de sa divinité, l’Ascension, c’est le vide qui nous permet d’écrire l’histoire, l’histoire du Christ parmi les hommes.
Le retour et l’Esprit Saint
Et ce vide de la présence du Christ en chair et en os, n’en est pas vraiment un. Dieu n’est pas seulement présent dans notre mémoire. Il est présent dans notre espérance parce qu’il nous annonce un retour. Et Il est présent dans notre présent par ce qu’il continue à se donner à nous, par l’Esprit Saint, que saint Thomas appelle le « don » de Dieu.