Ce n’est pas un hasard

Homélie du frère Jean-Pierre Mérimée – Fête du saint Sacrement – Dimanche 19 juin 2022

Nous avions jadis un frère convers au couvent d’études du Saulchoir qui ne dédaignait pas la bouteille et quand on lui demandait en quelle honneur il levait son verre répondait invariablement :  « Je bois pour fêter l’existence de Dieu » Je vous rassure , il y a d’autres moyens pour fêter Dieu, mais ce frère avait compris l’importance d’être capable d’aimer Dieu parce qu’il est le premier à nous aimer et de s’en réjouir. Aujourd’hui donc, réjouissons-nous avec lui, c’est la fête Dieu. 

Dans la première lecture que nous venons d’entendre, tirée du livre de la Genèse, nous faisons connaissance avec la figure de Melchisedek, roi de Salem qui rompt avec le rituel des sacrifices et se fait apporter du pain et du vin. Et à la suite, nous avons entendu cette affirmation du psaume 109 : »Tu es prêtre à jamais selon l’ordre du roi Melchisedek », comprenons: fini le culte des sacrifices sanglants répétés, finie la caste sacerdotale, une autre figure se lève en Israël qui va être inaugurée par Jésus. Jésus célébrera comme L’apôtre Paul le décrit aux Corinthiens et comme nous célébrons aujourd’hui, dans la mémoire de ce pain et de cette coupe de vin partagés avec ses disciples au cours du dernier repas, signifiant cette communion- pour toujours et jusqu’à donner sa vie- de Dieu avec l’humanité, de Dieu avec nous : communauté de destin avec l’homme, vie donnée jusqu’au bout.

Vous savez qu’il n’y a pas de récit du dernier repas dans l’évangile de Jean, mais nous y trouvons par contre l’illustration bouleversante, indépassable de cette vie donnée dans le geste de Jésus lavant les pieds de ses disciples, lui, le fils de Dieu, dans la posture de l’esclave aux pieds de son maître.

Nous fêtons aujourd’hui en Jésus un Dieu qui invente ce mode de présence inouï, au milieu de nous, d’un dépouillement radical, d’une fraternité de service sans mesure, d’un amour absolu.

Ce n’est pas un hasard si le cadre choisi par Jésus pour cette ultime rencontre avec ses disciples est celui d’un repas. Tout au long des évangiles, nous le voyons partager la convivialité d’un repas, privilégier ce moment de rencontre simple, que ce soit avec un inconnu comme Zachée : »Il faut que j’aille chez toi faire ma demeure » ou avec une foule qui a faim comme dans le récit de l’évangile de Jean que nous venons d’entendre appelé multiplication des pains, où Jésus invente le repas pour tous.

Ce n’est pas un hasard si sa vie publique,il l’inaugure par un repas de noces à Cana, associant la symbolique du repas à celle des noces, la faim ordinaire et l’extraordinaire de la communion de deux êtres, dans la joie débordante d’un vin généreux. Il en va de même du repas chrétien : le partage du pain et du vin reçus de la main du Christ porte en lui le renversement des habitudes égoïstes, des contraintes sociales, des exclusions de toute sorte, à commencer par l’intime de chacun en ses tourments, pour laisser place à la générosité sans limite du maître de la noce.

C’est à ce titre que les pères grecs appelaient la communion « Pharmacon tès zoé », le médicament de la vie, parce que le Christ, selon ses propres mots et sa pratique constante est venu d’abord non pour les bien-portants mais pour guérir en priorité les malades- c’est à dire chacun de nous- c’est ce qu’on le voit faire à longueur d’évangile.

Le grand spécialiste du monde gréco-romain, notre frère Festugière n’hésitait pas à attribuer l’expansion foudroyante du christianisme des premiers siècles à la singularité du repas qui réunissait les croyants : ils mettaient tout en commun, notamment la table, c’était la même qu’on soit esclave ou homme libre, homme ou femme, riche ou pauvre. Un repas de communion qui faisait sauter toutes les discriminations, toutes les barrières sociales, tous les cloisonnements.

Un repas où le Christ nous invite à partager avec lui cet immense amour qui est dans le cœur de chacun, le seul capable de rassasier. Oui, c’est à nous désormais de devenir ce que nous recevons:le corps du Christ. La vie spirituelle est un combat, nous le savons, et notre arme est d’être jusqu’au bout à la ressemblance du Christ :« L’homme qui sait aimer ».

Un repas où nous invitons à notre tour le Christ à notre table, nous qui avons accueilli sa parole, répondant à cet appel que l’apocalypse de Jean exprime ainsi en 3,20 : «Voici, je me tiens à la porte et je frappe: si quelqu’un entend ma voix et qu’il ouvre la porte, j’entrerai chez lui et je souperai avec lui, et lui avec moi. » 

Pour conclure, rappelons la définition de l’eucharistie du Concile Vatican II dans Lumen Gentium : «  Source et le sommet de la vie chrétienne »

En effet si notre communion trouve sa source en Christ livré pour nous, son sommet est cette union de tous les croyants en Église, comme l’exprime magnifiquement ces versets de l’Apocalypse au chapitre 19 :

7 « Réjouissons-nous, tressaillons d’allégresse et rendons-lui gloire; car les noces de l’Agneau sont venues, et son épouse s’est préparée,

8 et il lui a été donné de se vêtir de lin fin, éclatant et pur.  » – Ce lin fin, ce sont les vertus des saints.

9 Et l’ange me dit:  » Écris: Heureux ceux qui sont invités au festin des noces de l’Agneau!  » Et il ajouta:  » Ces paroles sont les véritables paroles de Dieu. »

Amen.

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