Savons-nous accueillir ?

Homélie du frère Emmanuel Dumont – Dimanche 17 juillet 2022

« Le Christ est parmi vous, lui, l’espérance de la gloire ! » C’est la bonne nouvelle selon saint Paul. Dieu est avec nous, mais encore faut-il savoir l’accueillir !

La plupart d’entre nous, nous savons accueillir des amis chez nous, mais savons nous accueillir Dieu en nous ?

1.1        Abraham et Sarah : l’équilibre

A priori, Abraham et Sarah y arrivent plutôt bien. Abraham s’occupe de la viande et Sarah de l’accompagnement, une répartition des tâches assez moderne, au fond. Pendant que leurs visiteurs se reposent, ils s’affairent, et ensuite ils restent disponibles auprès de leurs visiteurs. Chacun a son rôle, et il y a un temps pour chaque action. De cette harmonie naîtra un enfant, Isaac.

Avec Marthe et Marie, le travail est plus spécialisé. Marthe, la maîtresse de maison, s’affaire dans tous les sens et Marie écoute. Cela peut rappeler l’image d’Epinal de la chrétienté médiévale : certains s’affairent tandis que d’autres étudient et prient. Il y a un certain équilibre.

1.2        Marthe et Caïn : le contrôle

Sauf que là, ça ne se passe pas si bien que ça : Marthe en a marre et elle s’en prend à la fois à Jésus et à Marie en faisant remarquer à Jésus, au maître, qu’il pourrait inciter Marie à se bouger un peu. Et Jésus n’arrange pas les choses, puisqu’il lui répond que Marie « a choisi la meilleure part ».

Il joue avec le feu. Cela pourrait nous rappeler une autre fratrie dans laquelle Dieu semble en préféré un à l’autre. C’est l’histoire de Caïn et Abel. Dieu semble préférer le sacrifice d’Abel, la prière d’Abel, et Caïn ne le supporte pas et tue son frère. Abel, comme Marie, n’ouvrent pas la bouche, on ne sait pas qui ils sont, mais on sait que Dieu les préfère… Comme si, le problème ici, c’était avant tout de se comparer.

Marthe et Caïn veulent tout contrôler, y compris l’amour de Dieu, y compris ce que le Seigneur dit à leur frère ou à leur sœur. Et c’est bien là le problème. On a envie de leur dire de lâcher prise, de renoncer à l’emprise.

Marie et Abel ont choisi la meilleure part, celle de l’amour de Dieu, hors des structures de pouvoir de ce monde. Certains diront même que Marie, en étant assise près du Christ, apparait comme un vrai disciple du Christ, au même titre que les hommes qui suivent Jésus, et à ce titre, elle transgresserait les normes machistes de son époque. Marie serait ici une figure de femme disciples, future figure de missionnaire.

Nous aussi, quand nous accueillons des amis, voire quand nous accueillons Dieu, nous ne laissons pas suffisamment de place à la gratuité, à l’inattendu, au non contrôlé.

1.3        Marthe et Juda : les préoccupations matérielles

Il y a un autre passage tout aussi dramatique, qui montre une tension entre prière et service, c’est en Jean. Marie (peut être la même, peut être une autre) verse du parfum sur Jésus. Elle en fait trop, et là, c’est Juda, le trésorier, qui commence à râler. Et on connait la suite de l’histoire : des pauvres vous en aurez toujours, laissez Marie adorer le Seigneur avec son parfum de grand prix. Marthe pourrait jouer le mauvais rôle, celui de Juda, qui ne semble se soucier que du service des pauvres et non de la présence gratuite, du sacrifice d’offrande au Seigneur. Est-ce que Marthe a des motivations aussi confuses que celles de Juda ? Quand on quitte la prière, est-ce toujours pour de bonnes raisons ?

D’ailleurs, pour les amateurs de peinture, une des premières natures mortes, peinte par Aertsen, illustrait ce passage. On y voit une montagne de viande, de livre et d’autres bazars périssables, et dans un coin de la peinture, au loin, Marie aux pieds de Jésus. J’aime bien cette peinture car elle exprime bien ce qu’on vit parfois dans la prière. On ne pense qu’à des choses matérielles, et parfois, au loin, dans une fulgurance, la Parole de Dieu nous revient dans le cœur.

Nous aussi, quand nous accueillons des amis, voire quand nous accueillons Dieu, nous nous perdons dans des préoccupations multiples et secondaires et superficiel, en oubliant le cœur, le centre, ce qui est plus loin et plus important en l’autre.

1.4        Marthe et les diacres : l’incarnation

Pourtant, saint Luc ne semble pas être contre le service. Dimanche dernier, nous avons lu les versets qui précèdent l’histoire de Marthe et Marie, nous avons lu l’histoire du Bon Samaritain. Là, c’était tout le contraire. Le prêtre et le lévite, les deux religieux, les deux pratiquants, qui aiment Dieu et respectent ses commandements passent à côté de l’homme blessé, ils passent à côté de leur prochain et de Dieu lui-même. Un peu comme Marie, dans l’Evangile d’aujourd’hui, passe à côté du caractère incarné de Jésus. Elle ne comprend pas qu’en se préoccupant du repas, on se préoccupe du corps de Jésus, de ce corps humain que Dieu a assumé et à qui il a donné une telle valeur.

Tout le chapitre 10 de Luc tourne autour de l’hospitalité et de l’accueil. Lorsque Jésus envoie ses disciples, il bénit ceux qui l’accueilleront : « qui vous accueille m’accueille ». Avec le bon Samaritain, il associe l’accueil du prochain à l’amour de Dieu. Et avec l’épisode de Marthe et Marie il nous dit comment accueillir le Christ, comment accueillir les disciples envoyés par le Christ, comment accueillir le pauvre en qui le Christ réside.

Et Luc reviendra sur cette question au chapitre 6 des Actes des Apôtres. Quand, là aussi, certains se méfieront des autres : les frères de langues grecs râleront contre ceux de langue hébreux en disant que leurs veuves sont mieux traitées. Alors les 12 institueront 7 diacres, remplis de l’Esprit Saint, pour s’occuper des pauvres et de la dimension incarnée de la communauté chrétienne. Aujourd’hui, Marie est une des 12 et Marthe est une des 7.

Aujourd’hui, la part de Marie, c’est la contemplation. Elle ne lui sera pas ôtée car c’est la part qu’elle aura dans l’éternité. Mais la part de Marie, c’est aussi l’apprentissage du disciple, qui un jour devient missionnaire. Un jour elle accueillera l’Esprit Saint, elle portera cette « chose unique » si nécessaire, qui fructifiera dans l’amour de Dieu et du prochain. Alors sa vie restera toute unifiée dans la contemplation et dans l’action.

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