Homélie du frère Rémy Valléjo – Épiphanie, 8 janvier 2023 (Mt 2, 1-12)
Le récit de l’Épiphanie est une invitation au voyage.
Non pas ce voyage rêvé des mages, de ces rois mages, ou de ces trois saints rois qui, d’un brin d’orientalisme, auréole Melchior, Gaspard et Balthazar,
mais un voyage qui, d’une clarté naissante, dévoile ce que Dieu veut nous faire connaître de Lui-même,
de ce qui, par essence, est « le plus intime de mon intime » et qui, d’une clarté naissante, meut l’être tout entier.
Mais reprenons d’emblée la lettre du texte.
Par quoi sont mus les mages qui, venus d’Orient, cheminent jusqu’à Jérusalem, pour finalement s’acheminer jusqu’à Bethléem ?
Saint Matthieu,
l’évangéliste,
nous désigne « un astre à son lever ».
Et je serais tenté d’y voir une clarté dans la nuit étoilée,
comme le soir où traversant la ville de Bethléem, le jour même de mon arrivée en Terre Sainte, je scrutais le ciel pour y voir scintiller la lueur d’une étoile.
Mais au-delà d’un ciel d’image d’Épinal,
cette lueur,
qu’est-ce donc,
si ce n’est ce qui, au plus intime de tout un chacun, meut le cœur, le corps et l’esprit,
voire l’être tout entier ?
Qu’est-ce donc qui meut les mages,
si ce n’est la clarté naissante d’une nécessité intérieure ?
Au-delà des sens, de l’affect et de l’intelligence,
il y a au fond de l’être,
si l’on veut bien la reconnaître,
une clarté naissante.
Insaisissable,
cette clarté naissante est déconcertante,
et ce d’autant plus qu’au retour d’un chemin accompli, elle peut acheminer, contre toute attente, quand elle n’y conduit pas ex abrupto, à « passer par un autre chemin. »
Les mages eux-mêmes,
dessaisis de leurs sens, de leurs affects et de leur intelligence,
quand dans un sommeil,
ils sont appelés à « passer par un autre chemin »,
sont l’incarnation de cette expérience.
Si cette clarté appelle avec tant de force,
c’est qu’elle est belle,
mais aussi qu’elle est bonne.
Le Verbe « appeler », Kaleo en grec,
vient du mot Kalos qui désigne non seulement ce qui est beau,
et plus foncièrement encore ce qui est bon.
Ce serait donc la reconnaissance de la beauté, et dès lors de la bonté, qui d’un chemin accompli appelle in fine à « passer par un autre chemin. »
Décidés à suivre un « astre à son lever »,
au gré d’une clarté naissante qui, dans sa beauté littéralement sidérale, les appelle,
les mages venus d’Orient font aussi l’expérience d’une bonté qui, dans sa prévenance, les conduit « à passer par un autre chemin ».
Une épiphanie au sens moderne du terme,
c’est une conscience profonde et lumineuse.
J’oserais donc dire qu’en ce jour de l’Épiphanie nous sommes appelés à faire l’expérience d’une conscience profonde et lumineuse du mystère de la Prévenance quand Dieu manifeste au monde ce qu’il est essentiellement : la bonté incarnée.
Ces jours-ci,
en passant, malgré moi, « par un autre chemin »,
cette conscience profonde et lumineuse m’a littéralement saisi,
face à l’œuvre peint de Léonard de Vinci.
Léonard de Vinci,
cet ingénieur,
et mieux encore cet artiste, qui, toute sa vie durant, n’a cessé de scruter ce qui, d’une nécessité intérieure, meut la nature, les êtres, le cœur, le corps et l’esprit.
Depuis, chemin faisant, son « Adoration des mages » retient encore toute mon attention.
Au loin,
dans un décor de ruines éparses,
on devine un tourbillon inquiétant de chevaux, d’hommes et d’êtres esquissés, dont on peine à savoir ce qui les meut.
Est-ce le jeu, la disputatio ou même le combat ?
Nul ne saurait l’affirmer,
à moins qu’il s’agisse de l’expression d’une pure vanité quand le geste, avec violence ou discrédit, trahit l’inanité,
de l’homme qui a, de l’homme qui sait et de l’homme qui veut,
et donc du roi Hérode en particulier.
Au-devant,
sous les ramures d’un bosquet d’arbres qu’effleure une brise légère,
il n’y a pas l’ombre d’un doute sur ce qui meut les rois mages,
non seulement les rois mages,
mais aussi des humanités de tout âge, horizon et condition.
Melchior, Gaspard Balthazar et tous ceux qui se pressent autour d’eux sont agenouillés devant l’enfant Jésus que, Marie, sa mère tient sur ses genoux.
Melchior, Gaspard Balthazar déposent non seulement l’or, la myrrhe et l’encens, mais aussi leur couronne, insigne emblématique de ce qu’ils ont, de ce qu’ils savent et de ce qu’ils veulent.
Simples, abandonnés, sans détour et mesurés,
leurs gestes sont la pure expression de ce qui, essentiellement, meut leur être tout entier :
la clarté naissante d’une nécessité intérieure,
dans la simple reconnaissance de la prévenance incarnée de Celui qui vient,
de Celui qui, par sa propre nécessité intérieure, quand l’essence de la Bonté est de se donner, vient au-devant de nos pauvretés d’avoir, de savoir et de vouloir.
Ce sont les gestes de l’homme qui, dans l’abandon des mobiles de ses vaines prétentions, consent désormais à ne plus ne plus rien avoir, savoir et vouloir, a contrario de celui qui a, qui sait et qui veut.
Ce sont les gestes de l’homme qui, humblement, accueille ce qui, profondément, l’anime pour découvrir Celui qui, in principio, meut son être
Ce sont les gestes de l’homme qui, ayant accompli son propre chemin, consent, in excelsis deo, peut-être,
à « passer par un autre chemin »,
découvrant ainsi ce que j’aimerais aujourd’hui appeler une Épiphanie de la prévenance,
quand Dieu veut de tout son être nous rejoindre là où nous sommes en vérité, sur notre propre chemin d’abandon en Lui.