Heureux !

Homélie du frère Philippe Verdin – 3e Dimanche du temps ordinaire 29 janvier 2022

Chers Amis,

Quelle joie de réentendre cette promesse d’une vie heureuse : « Heureux vous qui pleurez maintenant : vous rirez ! »

Calmons cependant notre enthousiasme ; cette promesse vaut pour l’autre monde. En attendant, il y a des hommes et des femmes qui pleurent, il y a des affamés, oui il y a des gens humiliés, des innocents diffamés. Et ils le seront encore demain, hélas. Et un grand nombre de malheureux ne seront pas justifiés, ne seront pas réhabilités, ne seront pas consolés avant de voir le Christ, après la mort. Jésus ne nous paye pas de mots. Au contraire, il nous rappelle que pour l’heure, la fidélité est une épreuve, que l’amour est un combat, que la vie sur terre n’est pas toujours une partie de plaisir. Il y a des accidents, des jalousies, des déceptions. Le chrétien qui veut suivre le Christ doit passer lui aussi, comme son maitre, par la trahison, la souffrance et la mort.

Car si Jésus parle à ses disciples de Judée, si Jésus parle à ses disciples d’aujourd’hui, il parle aussi de lui-même : « Heureux les pauvres, heureux les persécutés, heureux ceux qu’on insulte : c’est ainsi que Jérusalem traitait les prophètes. » Le Christ parle de lui-même en même temps qu’il parle de nous : « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant vous ! » (Jn 15, 18)

« Heureux vous les pauvres, heureux vous les persécutés, heureux ceux qui ont faim maintenant : le Royaume des cieux est à vous. » C’est en réfléchissant à ces béatitudes que Karl Marx a écrit : « La religion est le soupir de la créature opprimée. La religion est l’opium du peuple. » L’opium endort, l’opium anesthésie, l’opium entretient des rêves heureux, des songes irréalistes. La religion anesthésie et la religion berce le peuple d’un bonheur utopique. La religion fait miroiter la consolation dans l’au-delà pour empêcher la révolte ici-bas, la religion contribue à voiler au prolétaire la condition misérable qui lui est imposée. La religion est l’alliée secrète de la classe oppressante. C’est drôle qu’un esprit aussi puissant que Karl Marx ait pu faire un tel contresens. Car il ne s’agit pas de s’endormir en attendant le paradis. Il s’agit de suivre le Christ maintenant, et d’être averti des conséquences. Entendons les béatitudes dans leur intégralité, sans les tronquer : « Heureux êtes-vous quand on vous insulte … à cause du Fils de l’homme. » C’est en suivant le Christ qu’on court le risque de perdre l’estime, la richesse, la santé. Les chiffres pour l’année 2022 viennent d’être publiés et ils sont éloquents : 360 millions de chrétiens sont persécutés dans le monde, soit 1 chrétien sur 7. Ce chiffre a doublé en 30 ans. Ce sont dorénavant dans 77 pays que les chrétiens souffrent parce qu’ils veulent suivre le Christ. Pour nous qui avons sans doute la chance de ne pas être persécutés, c’est en suivant le Christ qu’on découvre notre pauvreté, qu’on creuse la faim et qu’on a une soif inaltérable. C’est le contraire de l’apathie, de l’opium.

Heureusement, les promesses de Dieu ne sont pas seulement pour demain, après la mort, et ailleurs, au paradis. Les promesses de Dieu se réalisent maintenant. Encore une fois, entendons bien les béatitudes : Heureux les pauvres, le Royaume de Dieu est à vous. Il est à vous, pas : il sera à vous. Soyez heureux et sautez de joie. Soyez heureux maintenant si vous êtes pauvres et affamés, car c’est maintenant que vous entrez dans la joie du Maître. Les amis de Dieu n’ont rien, ils sont malades, ils ont faim et pourtant ils sont dans la joie. François d’Assise, incompris de ses frères parce qu’il vivait la pauvreté radicale, François d’Assise qui a terriblement souffert d’une maladie purulente des yeux, eh bien François d’Assise a connu la joie parfaite et il l’a chanté. Son ami saint Dominique a connu la solitude et l’opprobre pendant huit ans en terre étrangère. Les chroniqueurs nous disent pourtant qu’il était l’homme le plus joyeux de son temps.

Il ne s’agit pas donc de se complaire dans la douleur et dans l’abjection. Il s’agit plus profondément de reconnaître que c’est la pauvreté qui nous fait communier avec Dieu. La pauvreté, qu’elle soit la santé fragile ou la bourse plate, nous rend dépendant de Dieu et de nos frères. La pauvreté rend insatiable et disponible quand la richesse peut rendre satisfait, hermétique et aveugle. Le reput se suffit à lui-même. Il n’a plus besoin de Dieu et des hommes. Il veille sur ses garanties. Il craint l’aventure. Il redoute le risque de l’amour généreux. Surtout il n’a plus d’espérance puisqu’il est comblé. Que peut-il espérer puisqu’il a tout ? Ce n’est pas la religion qui assoupit. C’est le confort lénifiant, émolliant.

La bonne nouvelle, c’est que la joie et l’espérance sont les trésors de celui qui choisit la pauvreté. Le poète Paul Verlaine, qui connut la pauvreté et la maladie, a paraphrasé les béatitudes :

Surtout, il faut garder l’espérance.
Qu’importe un peu de nuit et de souffrance ?
La route est bonne et la mort est au bout.
Oui, garde tout espérance surtout :
La mort là-bas
te dresse un lit de joie.

Frères et sœurs, disciples de celui qui a souffert la faim, la soif, l’abandon, la trahison, la souffrance et la mort, soyons avec lui et par lui héritiers de la joie, de toute la joie qu’on peut espérer sur cette terre… Recevons dans cette communion l’avant-goût de la joie inaltérable et éternelle !

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