Homélie du frère Emmanuel Dumont – Solennité du corps et du sang du Seigneur – Dimanche 11 juin 2023
La manne
Les hébreux ont passé la Mer Rouge. Ils sont libérés des égyptiens. Ils sont libéré de l’esclavage et du mal. Mais voilà, cette libération du mal n’est qu’une première étape vers la Terre Promise. Maintenant il y a un désert à traverser, il y a une vie à mener, une vie difficile, pendant laquelle on a besoin de nourriture.
Alors Dieu fait jaillir de l’eau du rocher, Dieu fait tomber du ciel la manne et les cailles. C’est ce que raconte le chapitre 16 de l’Exode que Jésus est peut être ici en train de commenter.
C’est un texte lu et relu dans la Bible même, dans le Deutéronome, dans les psaumes, mais aussi dans les prophètes. Cette nourriture que Dieu nous donne pour notre traversée du désert, Amos nous dit que c’est la parole de Dieu. Et Isaïe va plus loin. Au chapitre 55, il nous rappelle que la Parole de Dieu vient du ciel pour y revenir, non sans réaliser sa mission, comme la pluie du ciel qui fait germer le blé et donne le pain aux hommes pour les nourrir. La manne, c’est bien Dieu qui la donne. Dieu nous nourrit de sa Parole. C’est ce que Jésus lui-même dit après avoir croisé la Samaritaine en Jean 4 : « ma nourriture, c’est de faire la volonté du Père ». Dieu nous envoie au désert pour nous donner faim de sa Parole.
Philon d’Alexandrie, ce théologien juif de l’époque de Jésus, va spiritualiser encore plus la manne. Le mot « manne » signifie littéralement « qu’est-ce que c’est ». Dans l’Exode, c’est la question que se pose les hébreux. Et bien pour Philon, « ce qui est », c’est l’être-même, au sens philosophique. Ce qui est, profondément, c’est Dieu, c’est la Parole de Dieu. Pour Philon, en donnant la manne, Dieu donne ce qui lui est propre. Il donne sa Parole. Il brouille les frontières du ciel et de la terre. Dieu nous envoie au désert pour nous donner faim de Dieu.
La chair de Dieu
Voilà ce qu’un hébreux de l’époque de Jésus pouvait comprendre de la manne. Voilà ce à quoi il pouvait penser face à Jésus. Mais Jésus va plus loin.
Par son incarnation, le Verbe, la Parole, le Fils a brouillé les frontières entre le ciel et la terre. Jésus est Dieu descendu sur terre, Dieu qui se donne. La chair dont nous parle Jésus, c’est ce qui périt, ce qui disparait, ce qui est fragile. Jésus vient nous dire que Dieu se donne, il nous donne sa fragilité, son amour, sa miséricorde.
Dans cet Evangile, Jésus nous dit qui il est : Dieu donné.
La quête du paradis
La première fois qu’une nourriture donne de la connaissance, dans la Bible, c’est dans la Genèse. Le péché originel, ce n’est pas une question de sexualité, c’est une question de nourriture. Comme si la nourriture était plus intime que la sexualité, comme si cela nous touchait encore plus profondément. Adam et Eve mange une pomme.
Et bien aujourd’hui, Dieu revient sur l’interdit de la Genèse. Il nous fait manger de l’arbre de vie. L’arbre de vie, n’est-ce pas la Croix ? Le fruit de cet arbre de vie, qui nous fait retrouver le paradis perdu, n’est-ce pas le Christ ? Ce qui coule du côté du Christ, son eau et son sang, n’est-ce pas un symbole de notre Eucharistie par laquelle nous sommes reliés au Christ ?
A l’époque où la fête du Saint-Sacrement est instituée, l’Eucharistie est présent dans les esprits de bien des manières. Certains se posent la question du comment, du qu’est-ce que c’est que cette eucharistie. Certains ont des visions, telle sainte Gertrude, qui voit le ciel s’ouvrir pendant la messe et le Christ immoler son cœur à Dieu, sur l’autel, pendant la consécration. Ou saint Grégoire, qui voit le Christ lui-même apparaitre au lieu de l’hostie pendant la messe.
Certains écrivent des histoires, voire des épopées autour de ce thème, et c’est la légende du Graal. Initiée par Chrétien de Troyes, et continuée dans divers cycles à la génération suivante. Dans une de ces quête du Graal, on voit le héros, Perceval, le chevalier en quête de sainteté assisté à quatre messes. A chaque fois, c’est la liturgie de son époque qui est racontée. Et il a différentes visions. Il voit une fois un enfant dans l’hostie : Et oui, à Noël, Dieu se donne dans sa fragilité. Une autre fois, il voit un homme nu d’une trentaine d’année, qui, depuis le ciboire distribue lui-même les hosties aux fidèles. C’est Jésus qui donne son corps. Une autre fois, il voit la Trinité. Et oui, l’Eucharistie, c’est le Fils qui se donne, mais à travers lui, c’est Dieu dans ses trois personnes qui se donne. Et la dernière fois, dans le ciboire, il voit l’indicible, il voit Dieu. Et bien, frères et sœurs nous aussi, sachons recevoir l’indicible dans cette eucharistie. Dieu donné dans sa fragilité pour rejoindre notre fragilité et nous donner sa vie.