Homélie du frère Emmanuel Dumont – Dimanche 2 juillet 2023
L’énigme du déplacement
C’est l’été, tout le monde part en vacances. On a envie de partir au soleil, à la mer. On a envie de se retrouver, on a envie de retrouver son âme.
Alors allons-y, partons. On n’a pas forcément besoin d’aller très loin pour trouver la vie. Imaginez que sur le chemin de cette quête vous rencontriez un vieux sage. Bien sûr vous lui demander le chemin : Comment puis-je trouver la vie ? Et là, il vous répond avec une énigme digne de la pythie ou d’un moine zen : « Qui a trouvé sa vie la perdra, qui a perdu sa vie à cause du Christ la gardera. » Voilà une affirmation bien étrange. Faut-il perdre pour garder et ne pas trouver pour ne pas perdre ? Ce qui est sûr, c’est que plus on médite sur ce paradoxe, plus on a envie de chercher, tout en sachant qu’on ne trouvera pas et plus on a envie de perdre, sans savoir ce que l’on gardera.
En fait, cette énigme est assez importante puisqu’on la retrouve 6 fois dans les évangiles. Les 4 évangélistes en parlent. Chez les 3 synoptiques, c’est au moment de la confession de foi de Pierre, lorsque Jésus commence à expliquer ce que ça veut dire de le suivre.
Chez Matthieu, c’est dans la lecture d’aujourd’hui, à la fin du discours d’envoie en mission, ce discours que nous lisons depuis plusieurs dimanche et qui nous met en route.
Chez Luc, c’est lors d’un discours sur la fin des temps. Mais la fin des temps n’est pas absente de notre évangile d’aujourd’hui. Quand on parle d’Apocalypse, on parle toujours de division des familles.
Chez Jean, Jésus nous dit cette énigme lors d’un discours sur la Passion. Mais, au fond, quand Jésus parle de mission, ne parle-t-il pas toujours de lui-même ? N’est-ce pas lui qui nous a tant aimé qu’il a abandonné sa condition divine et la proximité de son Père ? N’est-ce pas lui qui a perdu sa vie pour garder la nôtre ?
Oui, notre mission à la suite du Messie, est liée à l’annonce de la fin des temps et l’évènement de la Passion du Messie. Pour trouver notre âme, pour trouver notre vie (c’est le même mot en grec, ici), nous sommes invités à changer d’échelle, à nous situer dans le temps de Dieu, le temps de la mort et de la résurrection, le temps de la fin des temps.
Alors qu’en est-il de ce déplacement, de cette quête qui nous pousse à abandonner notre vie ?
Accueillir l’autre, ce n’est pas évident.
Le proverbe suivant peut nous éclairer. Au fond, pour chercher sa vie, il nous fait accueillir le Christ et ceux qui l’envoient. Et accueillir, c’est déjà un déplacement, ce n’est pas facile.
Vous l’avez peut être remarqué, mais deux thèmes majeurs au sujet desquels on entend parler de l’Eglise en politique, c’est autour du thème de l’accueil. L’accueil de la vie et l’accueil du migrant.
Mardi dernier, je discutais avec un détenu de plus de 60 ans qui me montrait son bébé, qui est né dimanche dernier. J’étais un peu intrigué et lui pause quelques questions sur ses enfants, il en a 7 si j’ai bien compris, et sa première fille en a déjà 8. Et voilà ce jeune papa qui qui trouve qu’à un moment, on ne peut plus accueillir la vie. Oui, accueillir la vie, ce n’est pas toujours évident.
Pendant plusieurs années, au couvent, on accueillais un migrant pour un mois, avec une association très organisée. Mais depuis la mort de frère Maurice, et depuis le COVID, on a décidé d’arrêter. Oui accueillir l’étranger, ce n’est pas toujours évident.
Accueillir nécessite toujours du discernement.
On pourrait se dire qu’accueillir un prophète, c’est plus évident. Et bien ce n’est pas ce que nous dit le récit d’Elisée chez la Shunamite. Au cas où vous ne connaissez pas l’histoire, je vous la raconte rapidement. La Shunamite est une femme de condition. A priori, c’est elle qui décide à la maison parce que son mari est assez transparent, on n’en parle pas, d’ailleurs, ils n’arrivent pas à avoir d’enfant. Elle invite le prophète Elisée chez elle, elle lui construit même une chambre spéciale, qui ressemble d’ailleurs étrangement au Temple, avec une table pour les offrandes et un chandelier. Elisée s’installe, il a l’air bien content. Et il propose un service en échange, mais, chose bizarre, il lui propose d’abord de plaider sa cause auprès des politiques et des militaires. Dieu est absent. Elle refuse. Alors Géhazi, le serviteur d’Isaïe propose de lui donner un enfant. Géhazi, c’est le serviteur qui ira raquette Naaman le syrien après qu’Elisée l’aura guérit de sa lèpre en lui ordonnant de se plonger sept fois dans le jourdain. Et il en sera puni, il aura lui-même la lèpre. Ainsi, si à la première lecture, on a l’impression d’avoir une annonciation, en fait, on a une annonciation un peu biaisée. D’autant que la Shunanite ne veut pas d’enfant et elle le dira. C’est Géhazi qui lui en impose un d’une certaine manière. La voilà néanmoins qui accouche. Mais c’est un miracle sans Dieu. C’est une transaction entre Elisée et la femme, une transaction un peu étrange. Alors Dieu fait mourir l’enfant. Heureusement, la femme va trouvée Elisée et après plusieurs essais et des rituels un peu étranges, inspirés de la magie de Babylone, l’enfant va retrouver la vie. Ici, l’auteur biblique est plein d’ironie. Derrière les récits d’annonciation et de résurrection, il critique Elisée qui s’est incrusté chez cette dame et qui lui propose des services très matériels. Ici, le prophète, ce n’est pas Elisée, qui a des pratiques douteuses, c’est la Shunamite, qui accueille ce qui se présente à elle et qui fait confiance à Dieu.
Oui accueillir, ce n’est pas toujours évident. Mais cela peut être très beau. Néanmoins, l’Evangile ne vous dis pas tant d’accueillir que de vous laisser accueillir.
Allez vous faire accueillir !
On pourrait se dire que Jésus finit son discours par des mots d’encouragements : partez en mission, mais sachez que vous serez bien accueillis par ceux qui accueillent Dieu lorsqu’ils vous accueillent.
Plus profondément, partir en mission, n’est-ce pas aller se laisser accueillir par un autre ?
De quelle mission parle-t-on ? Certains vont évangéliser sur les plages, ils vont se laisser accueillir par les plagistes plus ou moins décontractés.
Mais en ces jours de violences, la mission dont je voudrais parler, c’est cette mission qui consiste à faire des ponts entre les quartiers ou entre des populations divisées. Et, ici à Lille, nous avons plein de missionnaires qui tissent ces liens, qui vont auprès de ces jeunes loin de l’Eglise, certes, mais surtout qui se sentent marginaliser par la société française. Vous connaissez sûrement des bénévoles de Magdala, qui partagent des repas avec des personnes plongées dans une solitude et une précarité immense. Vous connaissez sûrement des bénévoles de la Cordée, qui aident à faire grandir des enfants dont les parents ne sont pas à l’aise avec le modèle d’éducation standard. A Roubaix, nous avons la chance d’avoir plein d’établissement scolaires catholiques, grâce auxquels prof, agents pastoraux et bénévoles peuvent créer du lien avec ces jeunes. Tous se laissent accueillir par l’autre, avec ses convictions, sa vision du monde, ses peurs et ses désirs.
Un autre exemple. Quand on visite un détenu, on se laisse accueillir chez lui. Il a ses codes. Parfois c’est très concret : il est maniaque ou au contraire ça sent le renfermé. Il a des opinions arrêtés sur le monde et il est ouvert à l’autre. Et c’est avec ce qu’il est, avec sa manière d’être, avec sa manière d’accueillir, qu’il nous accueille et qu’il accueille le Christ.
Le Christ nous invite à être missionnaire, nous aussi, allons nous faire accueillir par des gens différents, pour qu’en nous accueillant, ils puissent accueillir celui qui nous a envoyé.