Homélie du frère Jean-Pierre Mérimée – 2 juillet 2023 – 14e Dimanche du Temps ordinaire
Il y a l’une ou l’autre interprétation des textes que nous venons d’entendre auxquelles j’aimerais tordre le cou. A commencer par ce texte : « Mon joug est facile à porter et mon fardeau léger » : c’est la devise choisie par notre archevêque Laurent : belle manifestation de confiance et d’optimisme pour un homme qui a une si lourde charge sur les épaules. J’ai pour ma part souvent l’impression de faire le tri parmi toutes les paroles de Jésus pour ne garder que celles qui ne me coûtent pas trop d’efforts. Une manière d’alléger le fardeau sans doute mais pas exactement dans l’esprit de l’évangile, je crains.
Par contre, l’image qu’on m’a suggérée de l’excédent de bagage quand on prend l’avion peut aider à faire comprendre qu’il ne faut pas s’encombrer d’une valise trop lourde si l’on veut voyager avec Jésus. Le monde ne va pas bien, prenons notre part du fardeau, certes, mais sans nous croire tout-puissant et vouloir porter tout le malheur du monde sur les épaules . Enfin, il ne faut jamais oublier de méditer la remarque de St Augustin qui prévient : « Ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est la difficulté qui est le chemin ».
C’est pourquoi l’esprit de cet évangile, je le trouve dans le témoignage d’une amie lors d’un atelier d’écriture récent de la Maison du 60. L’exercice consistait à présenter la communauté du 60 au rassemblement du mois d’août à Lourdes organisé par le réseau St Laurent ( réseau qui regroupe les lieux d’Église qui accueillent pauvretés et précarités de toutes sortes). Après avoir évoqué les terribles épreuves personnelles traversées, « insupportables » souligne-t-elle, elle écrit : « Au 60, on se soutient sans trop de paroles mais tous reliés par l’évangile de l’amour. Jésus est parmi nous et c’est cela qui nous fait vivre la foi, lumineuse, joyeuse même dans l’épreuve. Jamais la blessure ne se fermera mais avec mes frères et sœurs, je la porte, elle me rapproche à travers eux de Jésus souffrant et glorieux. » Fin de citation.
Cette amie fait l’expérience qu’elle n’est pas seule pour vivre son malheur, il y a Jésus présent à ses côtés, qui l’a précédé sur le chemin de l’épreuve et avec lui le peuple de tous ceux se veulent les disciples du Crucifié, du ressuscité d’entre les morts.
Ce morceau de bois qui lie ensemble deux animaux de trait, le joug, renvoie à l’alliance que Dieu a conclue avec son peuple, ce Dieu qui s’appelle Emmanuel, Dieu-avec-nous. Jésus porte avec nous le joug de la croix.
Autre texte souvent victime d’une interprétation un peu trop rapide, dont la traduction plus respectueuse du grec donne ceci : « Ce que tu as caché à des sages et des savants, tu l’a révélé à des tout petits. Oui, Père tu l’a voulu ainsi dans ta bienveillance ». Il ne s’agit pas pour Jésus de faire l’apologie de la foi du charbonnier et d’ériger l’ignorance en béatitude supérieure, ce serait en contradiction avec ce souci constant qu’il a d’enseigner. Il s’agit de dénoncer certains courants gnostiques qui , dans les premières communautés chrétiennes, réservaient la vérité de la foi à la seule connaissance, au savoir spéculatif auxquels n’avaient accès que quelques privilégiés, un petit nombre d’initiés, de purs. Jésus dit non, le véritable chemin de son évangile est ailleurs qui s’inscrit dans la réalité de chacune de nos histoires, celui d’un amour qui ne passe pas, d’une charité accessible à tous. Surtout qui est mise en pratique par tous. Nous avons à l’incarner aujourd’hui dans des comportements et un langage qui soit compris autour de nous si nous ne voulons pas tomber dans le travers dénoncé, dans la tentation gnostique qui nous guette, aujourd’hui comme hier, d’avoir une foi hors sol, cérébrale, spéculative, élitiste.
Arrêtons-nous enfin à l’évocation par le prophète Zacharie du roi messianique : « Voici ton roi qui vient à toi : il est juste et victorieux, pauvre et monté sur un âne, un ânon, le petit d’une ânesse. »Une belle image de la non-violence, de la force de la non-violence qui brise l’arc de guerre et proclame la paix aux nations. Oui, choisissons l’âne plutôt que le cheval de combat : nous prierons plus particulièrement en ces jours troublés pour que s’ouvre dans nos cœurs un chemin de non-violence. Là encore, pas de fausse interprétation: la non-violence n’a rien à voir avec la lâcheté ou je ne sais quelle démission ou complicité devant des comportements violents. Il faut au contraire développer une force intérieure, une maîtrise de soi, un refus de la vengeance, une confiance en ce que Gandhi appelle la « satyagraha », la force de la vérité, si nous voulons ne pas répondre à la violence par la violence, « N’ayez pas peur » nous répète Jésus, et le psaume nous rassure : « Le Seigneur soutient ceux qui tombent, il redresse les accablés ».
Oui, voici ton roi qui vient à toi: il est pauvre. Amen