La démesure du pardon

Homélie du frère Jean-Baptiste Rendu – Dimanche 17 septembre 2023

Dimanche dernier, la Parole de Dieu et le prédicateur du jour – le fr. Benoit-Marie – nous rappelaient l’importance de la correction fraternelle, à savoir cette attitude qui consiste, au nom de la charité bien sûr (!) à corriger son frère. A le corriger parce qu’il se trouve être en situation de péché et qu’il nous fait du tort : « si ton frère vient à pécher contre toi, va, corrige-le, seul à seul avec lui. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère » (Mt 18,15-20). Cet exercice fraternel, reconnaissons-le, n’est pas toujours évident à mettre en œuvre… Bien souvent, nous préférons (et moi le premier je l’avoue), nous taire et ne pas voir que d’affronter son frère, en face en face, pour lui dire ce qui ne va pas chez lui.

Oui la correction fraternelle est un exercice délicat, difficile… Un exercice difficile à mettre en œuvre pourtant nécessaire pour ceux « qui appartiennent au Christ » (Rm 14,8) car c’est elle qui nous constitue comme Église. C’est elle qui fait des membres du Christ un corps ecclésial, c’est-à-dire un peuple d’hommes et femmes qui se sait aimé, pardonné, sauvé !

Et ne croyez pas que cet exercice n’est réservé qu’aux communautés religieuses car toute communauté humaine (qu’elle soit familiale, amicale ou rassemblée par les valeurs du scoutisme) a vocation à devenir une communauté ecclésiale. Et la pratique de la correction fraternelle, vécue dans la vérité, dans la charité, est indéniablement le signe que cette communauté est en chemin vers sa plénitude. C’est d’ailleurs même souvent le signe d’une bonne vitalité et d’une bonne santé spirituelle.

Tout cela est bien beau, me direz-vous … : mais comment mettre en œuvre une telle pratique de la correction fraternelle ?

Eh bien, bonne nouvelle ! Car comme bien souvent avec le Seigneur, quand il nous enjoint à de bonnes pratiques il nous donne aussi les moyens de les réaliser en nous donnant quelques petits conseils pratiques.

Quelques conseils glaner au fil des lectures de ce jour :

Le premier de ces conseils nous vient de Ben Sira le sage. Et comme un bon sage de l’Ancien Testament que l’on sait tout imprégné d’un esprit de Sagesse : à la fois don de Dieu et fruit d’une expérience de vie, Ben Sira nous invite à faire preuve d’indulgence : « Sois indulgent pour qui ne sait pas ».

Aussi quand tu t’apprêtes à corriger ton frère ne cherche pas à le sanctionner de manière violente ou sévère. Pour cela, poursuit notre sage : avant de partir bille en tête à la rencontre de ton frère : « pense d’abord à ton sort final et renonce à toute haine, pense à ton déclin et à ta mort et demeure fidèle aux commandements de Dieu ».

Voilà les sentiments qui doivent motiver notre correction fraternelle. Est-ce alors la pensée de notre mort qui doit nous incliner à l’indulgence envers notre frère ? C’est plutôt, je crois, un appel à la lucidité sur notre petitesse : nous sommes poussière, alors qui sommes-nous pour juger les autres ? C’est peut-être également une manière de nous rappeler que nous allons nous aussi, un jour, devoir comparaître devant le juste juge et lui rendre compte de nos égarements, de notre misère, de notre petitesse. Et rappelle-toi, que malgré cela « le Seigneur est patient avec toi et répand sur toi sa miséricorde. Il voit et sait combien ta fin est misérable ; c’est pourquoi il te pardonne sans compter. (Si 18,11-13 ». Eh bien frères et sœurs, si le Seigneur agit de la sorte avec nous, que nous nous sachions en faire de même à l’égard de celui qui étale devant nous sa misérable condition.

Ben Sira nous invite donc à faire preuve d’une grande indulgence, mais aussi, plus surprenant peut-être, il nous conseille – et je cite littéralement – à « passer par-dessus l’offense ».

Eh oui c’est logique… car si nous entamons une démarche de correction fraternelle c’est bien parce que le péché de mon frère a été pour moi une offense. Le risque serait donc d’entreprendre une telle démarche dans l’intention de se venger, de régler ses comptes avec lui. Or il n’y a pas de correction fraternelle sans au préalable une démarche de pardon.

Et « passer par-dessus l’offense » explicite bien, je trouve, cette démarche de pardon qui nous est demandée.

Car on le sait bien : on ne peut pas effacer une offense… De la même manière qu’après une blessure physique on garde une cicatrice, eh bien il en est de même pour une blessure morale : rien ne pourra faire qu’elle n’ait pas eu lieu ; et dans les cas graves, on peut être marqué pour la vie… et dans nos vies familiales, amicales, professionnelles, communautaire… les exemples ne manquent pas.

Oui, rien ne pourra effacer la calomnie, le geste de mépris, l’infidélité, les coups et tous les gestes de violence et aucun retour n’est possible. En revanche, on peut, comme dit Ben Sira, « passer par-dessus ».

Le pardon consiste alors, non pas à oublier ou ignorer ce passé, mais à passer par-dessus, et à essayer de survivre et de renouer la relation qui a été coupée par l’offense ; de reproposer son amitié, sa confiance ; cela consiste à accepter qu’il y ait encore un avenir possible. Le mot « Par-don », quand on l’écrit en deux parties « par-don » c’est-à-dire le don parfait, parachevé, le don par-delà l’offense, dit bien ce qui est en jeu. Et soyons clair, un tel don ne peut-être que l’œuvre en nous de l’Esprit qui parachève toute chose.

Un dernier conseil se trouve certainement dans l’évangile. Là aussi Jésus nous invite à la pratique du pardon avant toute démarche de correction fraternelle.

Et une fois encore on ne peut pas dire qu’il soit dans la demi-mesure car il exige de nous un pardon qui soit parfait : « Seigneur, quand mon frère…. Je ne dis pas jusqu’à sept fois (déjà le signe d’une plénitude), mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois (77 fois 7 fois : la plénitude absolue) » !

Or, ne craignons pas de reconnaître que nous sommes souvent bien loin d’un tel pardon ! Au mieux, et c’est déjà en soi une bonne chose, ce pardon offert est souvent sous condition, la condition que celui qui nous a offensé « ne recommencera plus ».

Est-ce que cela signifie alors que Jésus nous invite à faire quelque chose dont il sait très bien que nous n’avons pas les capacités humaines et spirituelles pour le faire, comme pour mieux nous culpabiliser en mettant en lumière nos incapacités !

Certes, cette parabole met l’accent sur une demesure, mais cette démesure dont il est question – et il ne faut pas se tromper- , n’est pas celle de ce pardon auquel nous sommes conviés, mais de la démesure du pardon de Dieu à l’égard de notre de propre incapacité à pardonner.

En effet, cela ne nous vous aura pas échappé que la dette de ce serviteur à l’égard de son roi (de l’ordre de soixante millions de pièces d’argent) est bien plus conséquente que la dette de ce même serviteur vis-à-vis de son compagnon (estimée à peine de 60 pièces d’argent) !

Oui, contrairement au pardon de Dieu à notre égard est sans mesure : il nous pardonne toujours, et nous savons bien qu’il a soixante-dix-sept fois l’occasion de le faire !

Ce décalage, ce gouffre, entre Dieu et nous, ne doit pas pour autant nous décourager outre mesure mais doit nous rappeler qu’il est toujours possible d’offrir notre pardon, non pas parce que nous en sommes capables, mais parce que Dieu lui-même cesse de nous offrir son pardon !

Eh bien frères et sœurs, fort de ces nombreux conseils, que nous sachions faire œuvre de correction fraternelle mû par le seul désir de nous réconcilier avec celui qui nous a offensé pour la seule raison que le Seigneur fait de même pour chacun de nous.

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