Toujours prêts !

Homélie du frère Franck Dubois – Dimanche 1er décembre 2024

Vendredi, c’était sortie avec les novices. Le matin, c’était pieux – messe à Amettes, chez St Benoît Labres. L’après-midi, c’était fun, visite du Disneyland régional, le musée de la mine, à Lewarde. Il fallait nous voir, arborant fièrement un casque de chantier pour visiter, au péril de notre vie, les galeries souterraines d’où suintait la suie… Sauf que, spoiler alert, bouchez-vous les oreilles si vous n’y êtes pas encore allé, on ressort du boyau au niveau du sol. Au début de la visite, on vous a fait croire que vous descendiez profond, en ascenseur au centre de la terre, alors que vous n’avez jamais quitté le plancher des pâquerettes. Bref, un casque pour rire, pour rien…

On serait justement tenté de lire l’Evangile du jour avec un casque et même une bouée de sauvetage. Mais bon, qu’est-ce que l’on ferait avec tout ça devant le Fils de l’homme, quand il reviendra sur les nuées ? Pas plus utile que le casque dans la fausse mine. On n’aura pas l’air malin au ciel avec notre équipement de sécurité, comme nous vendredi. Je pourrais d’ailleurs faire un petit sondage express, savoir comment vous aimeriez être habillé au ciel – si tant est que l’on y portera des habits. Les scouts seront peut-être en uniforme impeccable, nous on sera sous doute en blanc, ou en blanc et noir, selon la saison, avec ou sans les taches du petit déjeuner sur le scapulaire, selon le frère. En tous les cas, nous serons là-haut tels que nous sommes ici. Parce qu’il n’y aura pas vraiment de temps pour se changer, enfiler un smoking ou une robe de soirée. Il faut être toujours prêt. Et ça, ça doit rappeler quelque chose à une partie de l’assemblée.

Nous devrions passer notre vie à être prêt pour le ciel. Les scouts peuvent nous apprendre à être toujours prêt, parce que c’est leur devise. Et ils ont une méthode infaillible : la progression. Autre sondage : Qui a son badge « cuisine » ? Qui a son badge « trappeur » ? D’ailleurs, Baden Powell n’a rien inventé, il a tout piqué à Saint Paul. Pour ceux qui ont écouté, on vient de nous parler de cela dans la lettre aux Thessaloniciens : « Pour le reste, frères, vous avez appris de nous comment il faut vous conduire pour plaire à Dieu. Faites donc de nouveaux progrès ». Plaire à Dieu, c’est progresser. Evidemment, beaucoup parmi nous ont passé l’âge des badges. Heureusement, d’un certain côté. Parmi les novices deux trois ont haut la main le badge « bout-en-train-troubadour », à peu près tous sont « serviteurs de la liturgie », mais « bricoleur », par exemple, ça ne court pas les rue chez les dominicains. On vous écrit des livres abscons, on vous chante des cantiques chics, mais changer une ampoule, vous repasserez. Et puis, honnêtement (n’écoutez pas les scouts) dans la vie, faire des nœuds et réussir un parfait azimut c’est déjà pas franchement utile, alors au ciel, je vous raconte pas…

Le seul progrès vraiment utile est mentionné par Saint Paul. C’est celui sur lequel il faut toujours revenir pour être prêt pour le ciel : c’est avoir, « à l’égard de tous les hommes, un amour de plus en plus intense et débordant ». C’est bien trouvé. Parce qu’avec ça, on n’en aura jamais fini. Il n’y pas de badge « ami » aux scouts ni de badge « frère » chez les dominicains. On passe toute une vie à s’y exercer. Car le devoir d’aimer est infini. Il nous reste toujours quelqu’un à aimer un peu, ou un peu mieux. Le mal aimé de la meute, l’isolé de la famille ou même du couvent. Le pauvre à qui personne ne parle. Et puis, il y a toujours un pardon à demander ou à donner. Parfois cela nous semble même impossible. Mais je vous rassure, j’ai mal cité la phrase de St Paul. Il disait : « Que le Seigneur vous donne un amour plus intense ». C’est donc quelque chose qu’il nous faut demander. Parce que nous ne serons jamais prêts. Jamais au niveau d’amour pour le ciel.

Ça fait peur. On a envie de fuir, et souvent c’est ce qu’on fait. Ne pas penser au ciel, c’est s’enterrer dans un coin en attendant que ça passe. Ne jamais envisager la fin des temps, la vie éternelle, c’est vivre en planqué, à l’abri dans un bunker repeint en rose, ou mijoter endormi sous ses couvertures. On peut passer sa vie à dormir. Mais le Seigneur vient, et nous ne sommes pas prêts. On ne demande pas d’y arriver, mais de progresser. Ce que veut le Seigneur, c’est de nous voir debout, lorsqu’il vient. Debout, et pas planqué, les bras baissés à se dire qu’on n’y arrivera jamais. Debout, parce qu’on n’a pas le temps d’avoir peur, encore moins de mourir de peur, ce qui est trop bête quand on y pense. Debout, parce qu’on a ne va pas perdre son temps à désespérer en voyant le ciel s’effondrer. Et puis de toute façon, le casque ne servirait à rien.

Voilà le chrétien, frères et sœur. Il est debout, dans sa tenue de tous les jours, s’exerçant à aimer, même quand tout s’effondre. On pourra le railler, comme on se moqua de St Benoît Labre sur les chemins : « Qu’est-ce que tes bons sentiments quand tout se casse la figure ! » On pourra nous appeler, pour qu’on vienne se planquer avec ceux qui pensent échapper aux filets du Seigneur dans leur mine de pacotille. Mais nous, nous devons tenir droit justement lorsque le vent se lève regardant en face les défis immenses d’un monde qui s’en va, le regard déjà fixé sur un autre horizon qui lève plus loin. C’est le temps d’être brave et d’aimer.

Alors voilà. Il n’y a pas d’autre solution que de s’engager. Arrêtez de tourner autour du pot. Arrêtez d’attendre d’être prêt ; nous ne le serons jamais. Essayez d’aimer, concrètement, dans une vie donnée, pour une famille, pour l’Eglise, pour une association, pour une boîte, pour un pays. Ne perdez pas vos rêves et vos aspirations les plus profondes en entendant craquer le monde autour de vous. Foncez, et donnez-vous sans compter là où vous pensez le mieux pouvoir aimer. Progresser c’est toujours s’engager. Il est trop tard pour hésiter.

Une femme nous donne l’exemple. Son monde s’effondre. Son fils vient de mourir. Et tous l’abandonnent. Mais elle est là plus debout que jamais, murmurant une prière. Debout, consumée par l’amour insensé de son espoir rebelle. Elle, hier, à genoux penchée sur la divine face endormie dans la crèche redresse maintenant la tête contemplant ce même visage endormi sur la croix. Comme nous, tout à l’heure, nous relèverons la tête pour voir le corps et le sang élevés sur l’autel et pour contempler plus haut sur la croix le Fils à la tête inclinée, dernier acte d’un si tendre amour, pour que nous puissions mieux le contempler… relevant notre tête pour fixer son visage. Et comprenons, frères et sœurs, que la Vierge, regardant la Sainte Face, perçant les siècles et les âges, nous a vus, par avance, incapables d’aimer et aimant tout de même. Et elle vit sur nos têtes dénudées élevées vers la croix le ciel se déchirant, et la nuée descendre. Elle le vit qui vient. Sainte Marie mère de Dieu priez pour nous pécheurs. Maintenant.

 

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