Homélie du frère Franck Dubois – Présentation du Seigneur – Dimanche 2 février 2025
Ce brave Syméon n’a pas seulement besoin de bougie, mais aussi de lunettes. Est-ce qu’il a bien vu ? Celui qui est pareil au feu du fondeur, à la lessive des blanchisseur, le Seigneur qui vient dans son Temple, celui qu’attend Israël, qu’on imagine en guerrier valeureux, Syméon le reconnait dans un petit enfant de quelques jours à peine. Rien à voir avec ce qu’on attendait. Mais, précisément parce qu’il est peut-être un peu aveugle, notre cher Syméon voit plus loin que le bout de son nez. Il voit ce que les yeux ne peuvent encore distinguer dans cet enfant. Il sera signe de contradiction, en fera chuter beaucoup, en relèvera bien d’autres. Syméon nous rappelle ce matin qu’il faut se méfier des apparences. Dans la faiblesse de l’enfant gît la force de Dieu. Mais il faut le porter serré dans ses bras pour s’en apercevoir. Accepter la faiblesse apparente, et même l’embrasser, pour y discerner la force cachée.
A bien des égards, cela vaut pour nos vies. Prendre ses faiblesses à bras le corps, c’est souvent découvrir ce qu’elles dissimulent de puissant. Prendre dans les bras la faiblesse des autres, c’est encore les aider à voir ce qui peut s’y cacher. Car la force de Dieu, bien souvent, se déploie dans la faiblesse, si toutefois elle est accueillie, déposée, fut-ce dans nos bras fragiles et mal assurés, pour la présenter au Seigneur.
La Loi nouvelle enseignait : Vous n’avez pas mieux à offrir à Dieu en sacrifice ? Offrez-lui de frêles colombes… La loi nouvelle nous commande : Vous n’avez pas de grande réussite à lui remettre, offrez-lui vos petits efforts quotidiens, vos grâces et vos désirs et jusque vos échecs. Car Dieu prend tout. Parce qu’il a tout reçu tout avec cet enfant : la faiblesse et les promesses de la nature humaine. Mais voilà : ce le tendre Jésus endormi dans ses bras n’est pas seulement homme, mais il est encore Dieu.
Au Temple, Syméon offre à Dieu le Père du Ciel et de la Terre la vie même de son Fils, Jésus, qu’il tient blotti entre ses bras. Voyez le grand mystère : Dieu s’est tellement abaissé en s’incarnant qu’il a besoin d’un homme pour se donner lui-même. Jésus est trop petit pour reproduire seul, sur terre, ce qu’éternellement il accomplit aux cieux : l’offrande de lui-même, à son Père, par amour. A l’autre bout de sa vie ce n’est plus Syméon, mais Simon, qui l’aidera encore à parfaire son sacrifice. Poussé par l’Esprit, Syméon offre le Fils au Père. Comprenez, frères et sœurs : Ce même Esprit continue aujourd’hui le prodige, lorsque le prêtre à l’autel, par ses frêles mains humaines, offre à Dieu le Père, en holocauste parfait le saint sacrifice de son Fils.
Voilà le moyen génial que le Seigneur a trouvé pour nous faire participer au plus près à sa vie. Nous pouvons offrir Dieu à Dieu, le Fils au Père, en prenant et offrant à notre tour l’enfant dans nos bras. « Priez frères et sœurs pour que mon sacrifice qui est aussi le vôtre soit agréable à Dieu. » A chaque eucharistie, le prêtre et tous les fidèles offrent leur part d’humanité, unie à celle de Jésus, pour plaire à Dieu. Embrassant nos fragilités et nos forces, assumant tout ce que notre faible chair et notre vie a de plus grand et de plus grand et de plus faillible, nous avons cette espérance : depuis que Dieu le Père a agréé la présentation du petit enfant au Temple, reconnaissant en cet homme l’hommage que lui devait son Fils, il agrée aussi la nôtre, jusqu’au jour dernier, où l’Esprit nous inspirera cette dernière prière : Maintenant Ô Maître souverain tu peux laisser ton serviteur s’en aller.
Nous autres, religieux, ne voulons vivre que cela. L’offrande de nos vies d’hommes. Ni parfaites, ni immaculées, et pourtant remplies aussi de désirs, de rêves, de talents, de fougue. Mais l’Esprit nous a poussés à nous rendre au Temple pour y consacrer nos vies et y demeurer. Rester là, avec Anne, jusque dans notre vieillesse, parce que nous sommes fascinés et séduits par Dieu, à qui chaque jour nous voudrions, simplement, rendre la vie qu’il nous donne. Acceptant de nous présenter dans toute la nudité d’un enfant nouveau-né, nous unissant à l’offrande éternelle que le Fils fait à son Père. Qu’il est bon de partager la joie de Siméon, chaque jour.
De tout cela, frères et sœurs, il est urgent de se souvenir. Et c’est un peu notre mission, de vous le rappeler. Dieu a choisi de perpétuer sur terre le secret de sa vie céleste, il a voulu comme dévier et répandre les torrents d’amour qui insufflent sa vie en nous associant étroitement au mystère du Père, qui à chaque instant donne sa vie au Fils, et du Fils, qui toujours lui rend sa vie en hommage en l’exultation éternelle qu’est l’Esprit. Et cela, il le fait dans le corps d’un petit enfant et d’un bienheureux vieillard, dans celui d’une frêle hostie et de prêtres indignes, dans le corps de chacun d’entre nous et de la fragile Eglise. C’est par des corps brisés et pauvres que Dieu choisit d’embrasser le monde pour le soulever vers lui. Nos corps brisés, et pauvres.
Il y a quelques jours, le Vatican a sorti un document très intéressant sur l’IA. Je vous invite à le lire. Certains ici le savent, d’autres bientôt l’apprendront. L’IA est certes pleine de promesses. Mais elle ravive aussi le péril d’une société esclave de la technique qu’elle a elle-même créée et qui, de bien des manières, déjà la dépasse. Cette intelligence-là vise la perfection, l’excellence, l’infini. Et Dieu n’en a cure. Il s’est choisi des hommes, fini, imparfait, sensibles pour répandre dans le monde sa sainteté, sa vie. Il a ainsi donné pour toujours sa dignité au corps du petit enfant et celui du vieillard, aux efforts constants que nous faisons pour apprendre, grandir, nous fortifier, pour nous convertir, pour aimer, tout simplement. Dieu a consacré nos corps, Temple de son Esprit. Et nous chrétiens devons crier au monde cette vérité : Il n’y a d’autre Salut que Jésus Christ, Dieu fait homme, sang et chair, non ange, ni machine. C’est en devenant homme que nous connaîtrons Dieu. C’est en demeurant homme que nous serons sauvés.