Homélie du fr. Jean Pierre Mérimée
La réalité du pain, l’image du pain, le symbole qu’il représente sont au centre de la prédication chrétienne. En ce temps de vacance, je vous propose d’aller faire un tour du côté de la basilique sainte Marie-Madeleine de Vezelay pour saisir, à titre d’exemple, comment l’iconographie romane notamment a pu inspirer les prédicateurs sur le sujet. Et ce qui était vrai il y a plus d’un millénaire l’est toujours aujourd’hui. Ainsi le petit tympan sud qui représente l’enfant Jésus enveloppé dans des langes a été sculpté de façon à le faire ressembler à un pain « parce qu’il devait servir à la nourriture de nos cœurs » développe l’auteur d’un sermon de Noël contemporain. Un autre exemple, le plus célèbre, est le chapiteau dit du Moulin mystique, décrit ainsi par un savant professeur: « Moïse vêtu d’une tunique courte et les pieds chaussés comme un esclave se penche sur l’entonnoir d’un moulin où il déverse le contenu du sac de grain qu’il porte sur son épaule. Saint Paul en toge de citoyen libre tend un autre sac sous la meule pour recueillir la farine. La roue du moulin figure une croix inscrite dans un cercle. C’est la croix qui donne à l’ensemble sa cohérence.
La croix au centre du chapiteau dont toutes les lignes suivent la courbe de la roue.
Oui, tout est fait pour indiquer que la croix est le lieu de transformation d’un monde ancien en une réalité entièrement nouvelle.
Nous voyons Moïse verser le grain tout brut de la Loi ancienne dans la meule de la Croix. Par sa Passion le Christ en extrait la pure et fine farine de la Nouvelle Alliance que reçoit l’apôtre en homme libre délivré de l’esclavage du péché que la Loi rendait inévitable. Par la Passion du Christ, l’apôtre devient comme un fils de Dieu et un frère du Christ, citoyen du ciel, revêtu de « l’homme nouveau créé selon Dieu dans la justice et la sainteté conformes à la vérité » comme nous venons de l’entendre dans la lettre aux Ephésiens.
Poursuivons notre voyage en évoquons d’autres moulins, plus proches, ceux de la porte d’Arras, à Lille-Moulins. Quel rapprochement possible entre le moulin mystique de Vézelay et les moulins qui broyaient la fibre du lin vers le milieu du XIX ième siècle au Sud de Lille me direz-vous ? Une certaine réalité de l’histoire ouvrière du quartier peut-être. Celle inscrite sur cette cloche de notre paroisse saint Vincent de Paul qui sonnait l’appel pour l’eucharistie du dimanche, à la fois pour le partage du pain du ciel mais aussi pour faire « la guerre aux taudis et à la misère ouvrière » comme on peut le lire encore sur le bronze de la cloche. Les deux réalités – le pain durement gagné à l’usine et le pain partagé à l’église s’appelaient, se correspondaient l’une l’autre, tenaient d’’une réalité commune, celle de l’incarnation.
Notre modeste implantation dominicaine, après des dizaines d’années de voisinage dans le quartier souligne, dans cette définition qu’elle a tenté d’elle-même, que : « Ce qui construit la communauté, c’est la parole de chacun, écoutée et mise en pratique, à la lumière de la parole de Dieu célébrée dans l’eucharistie » Semaine après semaine, depuis près de 40 ans maintenant, c’est donc l’eucharistie ici aussi qui nous rassemble, la pure et fine farine du Christ présent au milieu de son peuple – comme il l’est ce matin dans cette église pour chacun de nous- et nous partageons le pain venu du ciel, nous partageons le pain de la Parole, le pain de la présence du Christ au milieu de nous, au milieu de ce quartier, le pain des repas d’une table ouverte, le pain du partage, celui des larmes et celui des rires. Nous apprenons donc ensemble dans la prière et l’amitié, que l’homme ne vit pas seulement du pain qui remplit l’estomac mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. A remarquer que Jésus, lui qui a repoussé la tentation de Satan au désert par ces mots, a le premier multiplié le pain pour que personne n’en manque, de ceux qui étaient venus l’écouter. Or aujourd’hui, nous vivons dans ce péché collectif d’accaparer des richesses qui nous asphyxient alors qu’une partie de l’humanité souffre encore de famine ou de malnutrition. Il ne s’agit pas de se frapper la poitrine ni de se complaire dans je ne sais quelle masochisme mais au minimum de prendre acte d’une aussi profonde injustice et de commencer par faire le peu qu’on peu en la matière si nous voulons communier en vérité au corps du Christ. Ainsi Le CCFD-Terre solidaire, comité catholique contre la faim et pour le développement, première ONG française de développement, s’attaque aux causes de la faim dans le monde. Ainsi également cette hospitalité offerte à tour de rôle par les paroisses du doyenné aux dizaines de jeunes migrants isolés qui errent dans nos rues.
Oui, notre faim est de goûter, de communier à ce pain-présence du Christ qui libère tout un peuple. De vivre une messe sur le monde, à l’échelle de l’humanité entière, et pour cela le plus petit doit être au centre de la communauté, l’exclu invité à la première place du banquet, selon l’enseignement même du Christ.
Le concile Vatican II nous l’a rappelé : « L’eucharistie est la source et le sommet de la vie chrétienne » Elle est nourriture pour la traversée de nos déserts, elle nous arrache au néant de nos pensées, elle nous renouvelle par une transformation spirituelle chaque fois plus profonde qui nous fait revêtir l’homme nouveau comme saint Paul l’affirme aux Ephésiens. L’essentiel est de croire,- mais le croyons-nous vraiment ? – que le pain de Dieu, celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde, est donné par le Père en la personne de son Fils Jésus : « Moi, je suis le pain de la vie, qui vient à moi n’aura plus jamais faim». Les pères grecs définissaient l’Eucharistie comme le « pharmacon tès zoes » le médicament de la vie, le pain des forts dit le psaume d’aujourd’hui, pour les malades que nous sommes. C’est bien en pauvres pécheurs que nous osons nous approcher dimanche après dimanche de cette table de la communion toujours ouverte, dans l’espérance de devenir plus forts et plus vivants, selon le cœur de père de notre Dieu. Amen