Homélie du frère Denis Cerba – Commémoration des fidèles défunts
Peut-être ne trouvons-nous pas le message que Jésus nous adresse ce matin aussi rassurant, aussi rassérénant, que notre cœur aurait pu spontanément le souhaiter en ce jour des défunts, et aussi en ces temps éprouvants, en ces temps d’angoisse que nous traversons. Nous aspirerions à être rassurés, mais ce que Jésus nous dit, semble-t-il, c’est d’attendre dans la nuit — dans la nuit sans pouvoir nous reposer puisque, même dans la nuit, il nous faut rester habillés et garder la lumière allumée —, d’attendre dans l’incertitude — puisque nous n’avons aucune idée de quand viendra celui que nous devons attendre : à minuit, à trois heures… ? —, d’attendre presque même dans l’angoisse puisque nous ne sommes même pas tout à fait sûrs de savoir si nous devons attendre un maître bienveillant ou un voleur qui viendra percer le mur de notre maison…
Mais au moins nous nous disons que le Seigneur nous comprend, qu’il sait dans quelle situation nous sommes : car oui, c’est vrai ! nous l’attendons toujours plus ou moins — et en ces temps peut-être plus encore que d’habitude — dans l’obscurité, dans l’incertitude et dans l’angoisse. Pourquoi tarde-t-il tant ? Pourquoi ne répond-il pas à nos prières instantes avec plus de promptitude ? Pourquoi laisse-t-il les choses semble-t-il partir à vau l’eau ?
Mais en fait, certes le Seigneur nous comprend, mais il ne fait pas que nous comprendre — et encore moins ne nous laisse-t-il nous débrouiller seuls dans un monde en détresse et en perdition. Le Christ veut bien plutôt nous adresser aujourd’hui un message de courage et de confiance absolue.
« Restez en tenue de service, votre ceinture autour des reins, et vos lampes allumées ! » Ça n’est pas un simple appel un peu creux à la vigilance, une vigilance sans grand objet et finalement plus angoissante que rassurante. En fait, en entendant cette exhortation, n’importe quel chrétien du temps de saint Luc comprend précisément à quoi elle fait allusion : elle renvoie à la nuit de la Pâque, dans l’Ancien Testament, pendant laquelle les Hébreux ont veillé, prêts à partir à tout moment et leurs lampes allumées, dans l’attente que le Seigneur passe et vienne les délivrer de la servitude et du joug des Égyptiens. Et effectivement, le Seigneur est passé comme il l’avait promis et il les a délivrés ! Il les a fait passer de la nuit de la servitude à la lumière de sa présence. Hé bien ! comprenons-le bien, ce qui vaut des Hébreux vaut a fortiori de nous aujourd’hui : car un passage encore plus décisif et définitif du Seigneur a eu lieu dans la Pâque du Christ, dans sa venue parmi nous, dans sa vie et sa mort pour nous, et dans sa résurrection.
Donc, non, pas du tout ! Nous n’errons pas sans but dans la nuit, dans l’attente hypothétique que Dieu se décide à venir nous sauver : car il est tout simplement déjà venu, il est déjà là et la lumière qu’il a allumée dans nos cœurs ne s’éteint ni ne s’éteindra pas. Le monde ne part pas à vau l’eau, car le Royaume des Cieux s’y édifie petit à petit, telle la graine de moutarde qui pousse, pour ceux qui savent le voir et surtout pour ceux qui y travaillent en artisans zélés, la ceinture aux reins. Quant au Seigneur, nous savons, nous sommes sûrs qu’il reviendra, aussi sûrement que « des gens attendent leur maître à son retour des noces » : qu’importe donc s’il tarde un peu ou si nous ignorons l’heure exacte de son arrivée ! Car encore une fois, nous savons qu’il reviendra, et même que le meilleur de ce qu’il a préparé pour nous est encore à venir : car alors, « c’est lui qui, la ceinture autour des reins, nous fera prendre place à table et passera pour nous servir ».
Donc, c’est dans cette foi, qui nourrit une espérance indéfectible et anime une charité zélée, que nous allons maintenant célébrer le sacrement de l’Eucharistie, la Pâque du Seigneur, en communion avec nos défunts, pour la gloire de Dieu et le salut du monde !