Notre monde a besoin de témoins du Christ

Conférence du frère Alexandre Frezzato – Lundi 24 mai 2021

Introduction

Cette année, nous ne fêtons pas seulement saint Dominique le 24 mai et le 8 août, mais bien toute l’année : c’est le 8ème centenaire de sa mort en 1221 : c’est donc une année jubilaire pour toute la famille dominicaine. 

À cette occasion, j’ai publié en février dernier un petit livre sur saint Dominique qui se veut à la fois spirituel et pédagogique. C’est une neuvaine à saint Dominique, c’est-à-dire neuf méditations spirituelles réparties sur neuf jours pour faire découvrir ou redécouvrir le fondateur de notre Ordre. 

L’idée qui a présidé à l’élaboration de ce petit livre, c’était d’actualiser la figure de saint Dominique pour que chacun et chacune d’entre nous puissent s’identifier à frère Dominique sur un aspect ou l’autre de sa propre quête de sainteté dans sa vie chrétienne. 

Pour la conférence d’aujourd’hui, au lieu de vous présenter mon livre de manière exhaustive, j’ai préféré sélectionner quelques idées qui s’y trouvent et vous les partager sous forme de propos spirituels. Je ne vous dévoilerai donc pas tout son contenu…

Et puis, modestement, je me suis fixé deux objectifs pour cette conférence : 

1. Tout d’abord, vous présenter saint Dominique à travers différents aspects de sa sainteté et par ce biais, j’espère vous partager la joie de ma rencontre avec lui : la rencontre d’un frère dominicain avec son père fondateur. 

2. Le deuxième objectif de cette conférence est d’essayer de nous donner des pistes de réflexion pour actualiser et persévérer sur notre chemin de sainteté dans les traces de saint Dominique.

En deux mots, j’espère que cette conférence vous sera spirituellement utile !

1. Attitude de Dominique face aux changements de son époque.

Le premier aspect de la sainteté de Dominique que j’aimerais mettre en évidence, c’est tout simplement l’attitude, le comportement de Dominique au regard du contexte dont il est issu ; la dynamique de son époque et comment notre jeune Dominique y grandit en sainteté. 

Dominique a vécu entre la fin du 12ème siècle (~1170) et le début du 13ème siècle. C’est un homme que j’aime décrire comme parfaitement de son temps, c’est-à-dire pleinement enraciné dans la dynamique de son époque. Et vous comprendrez que c’est en cela qu’il est saint, et non pas parce qu’il est exceptionnel ou bien extravagant, mais simplement parce qu’il est de son temps… Je m’explique :

Le 13ème siècle de Dominique est une période particulièrement dynamique pour l’Europe : c’est l’émergence des bourgs fortifiés, de l’urbanisation (dirait-on aujourd’hui), c’est la naissance des villes libres, des villes franches. 

Cette émulation des villes s’accompagne d’une croissance démographique, d’une croissance de l’activité commerciale, de la construction d’édifices de plus en plus grands : cathédrale, universités, couvents, etc. 

La naissance des villes au 13ème siècle va de pair avec l’émergence des universités telles qu’on les connait encore aujourd’hui. En bref, le début du 13ème siècle est marqué par un grand mouvement de la campagne, des villages à la cité médiévale, à la ville comme centre de toutes les interactions et de tous les échanges, qu’ils soient commerciaux ou intellectuels. Cette période du Moyen-Âge est en réalité aux antipodes de l’image péjorative longtemps véhiculée par de nombreux historiens : le Moyen-Âge comme période sombre, violente et obscurantiste avant l’affranchissement bienvenu de la Renaissance… 

Bien au contraire, la chrétienté du temps de Dominique c’est un moment de l’histoire extrêmement stimulant, lumineux et rempli de perspectives ! 

Du point de vue du christianisme et de l’Église, cette période est aussi extrêmement riche : c’est la concrétisation et l’épanouissement de la réforme grégorienne (Grég. VII, 1073-1085). C’est le temps d’un profond renouveau spirituel : de nombreux mouvements religieux et “communautés nouvelles” (plus ou moins orthodoxes) voient le jour. Tous ces groupes ont un point commun dans leur démarche et leur posture évangélique : ils veulent revenir un christianisme plus ancré sur l’idéal de pauvreté du Christ et des premiers apôtres. 

Et saint Dominique est au cœur de cette dynamique, bien ancré dans la grande dynamique de son époque. À ce moment-là, il étudie à l’université de Palencia en Espagne. Il n’est pas encore dominicain, il ne songe pas encore à fonder un Ordre de frères prêcheurs et mendiants. À cette époque, il est chanoine. 

Mais il vit un évènement qui témoigne déjà de sa sainteté et de son désir de radicalité évangélique : durant une famine dans sa région, il vend ses seuls biens (essentiels), ses livres pour en donner le prix à des plus pauvres qui souffrent de la faim. Autrement dit, il se sépare de ce qu’il a de plus précieux en tant que chanoine-étudiant par charité et compassion envers des plus nécessiteux que lui ! 

Notre tradition dominicaine voit déjà dans cet évènement une véritable conversion de saint Dominique à l’idéal de pauvreté qu’il va ensuite poursuivre toute sa vie et qu’il fera inscrire parmi les règles fondatrices de l’Ordre des Prêcheurs.

J’ai fait ce petit rappel contextuel mis en lumière par cette expérience de charité de Dominique pour vous montrer que Dominique était simplement un homme bien de son temps qui s’est distingué de ses contemporains, moins par son talent naturel et des dons exceptionnels, que par un idéal de vie avec le Christ qu’il poursuivait dès sa jeunesse. Sa foi et sa charité l’ont rendu capable de renoncer à lui-même pour son prochain. 

Aussi, fait remarquable à noter pour nous dans notre époque marquée par les tentations du repli identitaire que ce soit au niveau politique ou religieux, Dominique était un homme de son temps (aurait-il pu faire autrement d’ailleurs ?) qui n’a pas choisi un chemin de sainteté trop personnel ou à contre-courant du contexte dans lequel il était. Dominique participe au contraire pleinement à la dynamique de son époque et se laisse porter par ce mouvement en étant à l’écoute de ses contemporains. 

Il ne rejette pas « la modernité » et les changements de son époque. À l’inverse, il embrasse ses mutations avec confiance et intelligence : cela lui permettra d’apporter des réponses concrètes et adéquates pour redonner l’évangile à son siècle, par exemple en fondant un Ordre de frères et de sœurs Prêcheurs.

Cette confiance de Dominique est précisément – je crois – ce qui commande sa posture par rapport à ses contemporains et à la volonté de Dieu pour cette période de l’histoire. 

 Ce qui m’amène au second aspect de la sainteté de Dominique que j’aimerais vous exposer…

2. Cultiver l’amitié avec Dieu dans sa Parole

Si saint Dominique a pu discerner sa place et son rôle au sein de son siècle, s’il a pu poser un regard neuf sur son temps, c’est en raison de sa relation à Dieu. 

Relation qu’il a cultivée et mûrie dans son rapport à la Parole de Dieu, là où Il se révèle en premier lieu. Dominique a puisé dans les versets de l’Écriture la substantifique moelle nécessaire pour travailler avec Dieu et prêcher sa grâce.

Je vous lis un extrait de la huitième manière de prier de saint Dominique qui illustre de façon saisissante la relation que Dominique entretenait avec Dieu au travers de sa Parole : 

Le saint père Dominique s’asseyait tranquille, ouvrait un livre devant lui, il lisait et son esprit s’emplissait de douceur, comme s’il entendait le Seigneur lui-même lui parler, (ainsi qu’il est dit dans le psaume [84,9] : J’écouterai ce que dira en moi le Seigneur Dieu, parce qu’il dira la paix en son peuple et sur ses saints et en ceux qui se convertissent de cœur). Comme s’il disputait avec un compagnon par gestes et en pensée, il semblait, auditeur tantôt impatient, tantôt tranquille, débattre, lutter, rire et pleurer à la fois, fixer son regard et le baisser, de nouveau parler silencieusement et se frapper la poitrine. Au curieux qui aurait voulu voir le père saint Dominique à la dérobée, il lui apparaissait tel Moïse qui était entré au cœur du désert et considérait le buisson ardent, le Seigneur qui parlait et qui le rendait humble. L’homme de Dieu [Dominique] en effet se comportait à la manière d’un prophète passant rapidement de la lecture à la prière et de la méditation à la contemplation1.

On sent dans ce passage tout le dynamisme du rapport que Dominique entretenait avec Dieu dans sa méditation de la Parole. Lorsqu’il contemple les Écritures, il est naturel pour lui de comprendre que Dieu s’adresse directement à lui : Dominique dialogue avec Dieu comme s’il avait une discussion de fond avec un ami intime !

Et bien c’est dans ce rapport intime et priant avec Dieu par le medium de sa Parole que Dominique a cultivé une amitié féconde avec son Seigneur. 

Vous aurez remarqué aussi que dans l’extrait que je viens de vous lire, la lectio divina de Dominique est comparée à la rencontre de Moïse avec Dieu au buisson ardent. Plus qu’un pieux parallèle, cette comparaison témoigne encore davantage de l’intimité de la relation que Dominique entretenait avec Dieu : En effet, dans le récit biblique, Moïse est l’archétype de l’ami de Dieu, celui qui est choisi par Lui et envoyé par Lui pour délivrer son peuple avec l’aide de Dieu. Cette amitié exceptionnelle d’élection entre Dieu et l’homme est traduite par le terme réa‘ en hébreu. Le réa‘ de Dieu, l’ami de Dieu, c’est celui que le Seigneur met à part, celui avec qui il fait alliance pour l’endosser d’une mission de salut. 

Cette comparaison illustre bien la relation qui liait Dominique avec Dieu : en méditant sans cesse la Parole de Dieu, Dominique a compris que Dieu l’établissait comme son collaborateur pour travailler à son œuvre de salut : prêcher la Bonne Nouvelle pour le salut des âmes ! 

Toute l’entreprise institutionnelle et apostolique de Dominique sera nourrie et irriguée par cette source intarissable de la Parole de Dieu. C’est dans cette lecture priante des saintes Écritures que Dominique a trouvé, jours après jours, l’inspiration nécessaire pour agir vertueusement et prêcher à tous et à toutes. 

Voilà aussi la raison pour laquelle : « Dominique exhortait et incitait souvent les frères […] par ses paroles […] à toujours étudier dans le Nouveau et l’Ancien Testament »2.

Saint Dominique désirait transmettre à ses fils la clef d’une relation profonde et solide avec Dieu : méditer souvent la Parole de Dieu, converser avec Lui comme avec un ami intime. 

3. Chercher Dieu au moyen de l’intelligence

Toutefois, pour Dominique, méditer la Parole de Dieu et approfondir sa relation et sa disponibilité pour travailler avec Dieu suppose également qu’il prêche : Pour Dominique et ses frères après lui ; la prière, la contemplation de la Parole doit s’accomplir dans la prédication et l’action apostolique. Et pour que ce labeur d’apôtres soit fécond, il doit être intelligent et réfléchi. Autrement dit, pour Dominique, une authentique relation à Dieu dans la lecture priante de la Parole va de pair avec une amitié intelligente avec Dieu, une amitié studieuse si vous voulez…

C’est le troisième aspect de la sainteté de Dominique que je vais développer : Chercher Dieu au moyen de l’intelligence. 

En arrivant dans le Languedoc, Dominique s’est très vite rendu compte que pour aider les personnes à retrouver une vie conforme aux enseignements du Christ et de l’Église, il fallait prêcher, être convainquant et surtout prêcher authentiquement la vérité. Autrement dit, il fallait dire de manière adaptée et orthodoxe qui est Dieu et ce à quoi il nous appelle. 

Pour faire cela, il n’y a pas de miracles, même dans le cas de Dominique, il faut étudier la Parole de Dieu, c’est-à-dire faire de la théologie. Dominique l’a faite à Palencia et il encouragera également son Ordre et ses frères à se former tout au long de leur vie pour prêcher et former leurs contemporains à leur tour.

Dans ce contexte, Dominique avait déjà saisi que, pour un chrétien, foi et raison ne s’opposent pas : et il a voulu nous transmettre cette intuition, ce désir d’une amitié intelligente et priante avec Dieu dans le prologue des Constitutions primitives où il est écrit: « notre étude doit tendre par principe, avec ardeur et de toutes nos forces à nous rendre capables d’être utiles à l’âme du prochain »3.

Le programme de vie que saint Dominique souhaite pour ses frères est clair : l’étude pour le service de la prédication, pour défendre, soutenir et affermir la foi des croyants, pour ramener à Dieu les sceptiques, et surtout, pour cultiver une amitié non seulement spirituelle, mais aussi intelligente avec Dieu. 

En tant que fils de saint Dominique, je ne peux pas m’empêcher de voir dans cet aspect une mission magnifique pour nous les dominicains et pour tous les chrétiens : c’est-à-dire, étudier inlassablement, chercher la Vérité tout au long de notre vie pour éclairer notre foi et celle de nos prochains.

4. Saint Dominique, un frère parmi ses frères

J’aimerais méditer avec vous sur un autre aspect de la sainteté de Dominique : sa relation avec ses frères. Après sa relation à Dieu par la prière de la Parole de Dieu et l’étude, voyons comment sa sainteté émerge dans le cadre fraternel et communautaire du tout jeune Ordre qu’il est en train de fonder. Comment Dominique vivait-il au milieu de ses frères ? Comment conciliait-il ses exigences personnelles de radicalité évangélique et son zèle apostolique avec la réalité de la vie commune, la réalité du quotidien parmi ses frères ?

En 1215, lorsque les premiers frères rejoignent Dominique pour vivre une vie régulière (députée à la prédication et au salut des âmes), Dominique a environ 45 ans. Pour l’époque, 45 ans, c’est déjà synonyme d’une bonne maturité… D’ailleurs sa réputation de sainteté est déjà bien établie parmi ses proches. En bref, son zèle et sa ferveur ont probablement dû, comme souvent chez les saints, déconcerter ses nouveaux frères avec qui il partageait la vie commune. Les frères en témoignent d’ailleurs abondamment dans les dépositions pour sa canonisation. En voici quelques exemples :

Imaginez, vivre avec quelqu’un qui est tellement assidu à la prière qu’il pleure pour les pécheurs des nuits entières dans la chapelle conventuelle, et puis le lendemain s’endort, mort de fatigue, en plein repas au réfectoire. 

Imaginez, frère Dominique arpentant le milieu du chœur de l’église en allant énergiquement d’un côté à l’autre des rangées de stalles durant l’office pour exciter les frères à chanter plus fort les louanges et les psaumes. 

Imaginez encore, frère Dominique prêchant à l’ambon et, si réceptif à la Parole de Dieu, qu’il se met à pleurer en plein sermon et, de manière communicative, transmet ainsi le don des larmes à ses auditeurs.

Ce n’est pas tous les jours que l’on rencontre des frères pareils…. 

Alors, je vous rassure, frère Dominique n’était en réalité pas si extravagant. Il était aussi parmi ses frères celui qui est solidaire, celui qui est humble, celui qui les sert sans chercher la première place. (celui qui leur prêche et qui les exhorte sans cesse à la charité).

En bref, je crois qu’il y une clef de lecture par excellence qui permet de bien saisir qui était Dominique parmi ses frères : cette clef, c’est celle du don de soi-même pour l’unité.

Parmi la première génération de frères ayant vécu avec Dominique, certains rapportent que, Dominique, après avoir marché toute la journée, en arrivant dans les différentes communautés qu’il visitait, n’allait pas se reposer. Au contraire, il convoquait les frères, leur commentait la Parole de Dieu et s’entretenait individuellement avec chacun d’eux. En cela, on voit que Dominique est un infatigable gardien de l’unité : il met toute sa personne au service de la communauté et de chacun de ses frères malgré la fatigue… 

Frère Dominique est un homme constamment animé par le souci du bien personnel de chacun de ses frères et du bien de la communauté. 

Et en ce sens, Dominique incarne le propos de la règle de saint Augustin qu’il a choisi pour son Ordre : « pourquoi êtes-vous réunis sinon pour habiter ensemble dans l’unanimité, ne faisant qu’un cœur et qu’une âme en Dieu (Ac 4,32) »4.

Saint Dominique savait que l’unité dans une communauté est la première condition d’une prédication un tant soit peu féconde. C’est pourquoi il se dépensait pour le salut des âmes, y compris celles de ses frères ! Il se donnait littéralement pour autrui !

Avant d’aborder un dernier aspect de la sainteté de Dominique : j’aimerais vous partager un petit mot de Dom Augustin Guillerand (Un chartreux célèbre pour ses écrits spirituels) sur le don de soi qui colle bien selon moi à la figure de Dominique : 

Don de soi ! Amour ! Premier et dernier mot de toutes choses ! Le don de soi est condition de vie pour ceux auxquels on se donne. Il est plein épanouissement d’un être par l’union à tout ce à quoi il se donne et des êtres auxquels il se donne par l’accroissement qu’il leur procure. L’amour n’est pas seulement condition de vie : il se confond vraiment avec la vie même5.

5. Prédication de Dominique 

J’en viens maintenant à un dernier aspect de la sainteté de Dominique qui est sûrement le plus remarquable et qui devrait particulièrement nous inspirer : c’est sa prédication, une prédication par la parole et par l’exemple ! 

Alors, ce n’est pas simple d’aborder ce thème dans la mesure où la tradition ne nous a laissé quasi aucune trace écrite de sermons ou de prêches de Dominique. 

À vrai dire, nous ne connaissons pas exactement le contenu de ses prises de paroles en public. On ne sait pas ce qu’il a dit.

En revanche, on sait que sa prédication était efficace !

Il a disputé avec de nombreux cathares, il en a converti beaucoup. Il a fondé un Ordre qui tient toujours aujourd’hui, il a opéré des miracles, il est devenu saint etc.

Sa prédication était efficace : elle a porté du fruit !

On peut aussi voir l’efficacité de la prédication de Dominique à travers une autre caractéristique que j’ai rapidement évoquée un peu plus tôt : ce sont les larmes : les larmes du prédicateur et les larmes des auditeurs. 

Au Moyen-Âge, une prédication efficace devait émouvoir son auditeur au sens où la parole du prédicateur avait si bien disposé et préparé l’oreille intérieure, le cœur de l’auditeur que celui-ci recevait une parole qui venait directement de Dieu, une parole qui le touchait, qui le remuait, qui lui était utile (au bon sens du terme) et qui changeait sa vie.

Pour le procès de canonisation de Dominique, le frère Etienne témoigne et dit : Dominique « accordait un soin constant et de l’attention aux prédications et il avait des paroles si bouleversantes que très souvent, il se bouleversait lui-même, et les auditeurs avec lui, jusqu’aux larmes »6.

La parole que Dominique annonce et prêche est si saisissante que les larmes coulent, si inouïe que les premiers frères qui l’ont connu disaient qu’il possédait la “grâce de la prédication” (gratia praedicandi). 

Encore aujourd’hui dans un chant dominicain adressé à saint Dominique, le O Lumen Ecclesiae, nous appelons Dominique le predicator gratiae : prédicateur de la grâce.

Cette grâce et cette efficacité dans la prédication, Dominique les a reçues parce qu’il a d’abord été personnellement touché par la Parole qu’il annonçait. Il savait donc par expérience que la Parole de Dieu pouvait changer la vie de quelqu’un. 

Il avait donc conscience que prêcher cette Parole représente non seulement un magnifique privilège, mais implique aussi d’en vivre. Nous touchons ici la source de l’efficacité de la prédication de Dominique : avant de prêcher la Parole de Dieu, il l’a entendue pour lui, dans sa propre vie ! 

Si on reconnaît la sainteté de Dominique dans sa prédication par la parole, on la reconnaît également dans sa prédication par l’exemple : une prédication par les actes, par son témoignage vivant. 

Dans l’Ordre dominicain, nous exprimons ces deux aspects avec la formule praedicare verbo et exemplo, prêcher par la parole et par l’exemple.

Pour Dominique et pour tout prédicateur chrétien, (comme je l’ai dit) prêcher la Parole de Dieu signifie avant tout d’en vivre. Et Dominique avait une vive conscience de cette exigence !

Par exemple, lorsque Dominique exhorte ses frères à la pauvreté volontaire, lorsqu’avec Diègue, il invite les légats pontificaux cisterciens à troquer leurs montures pour arpenter le Languedoc à pied, il sait que derrière ces renoncements, il y a un enjeu d’authenticité, de vérité évangélique, qui est condition de la fécondité de sa prédication.

Lorsque Dominique fait observer le silence à ses frères, il sait que ce silence leur permettra de s’entretenir plus aisément avec Dieu sans se disperser dans de vains bavardages. 

Lorsque Dominique exhorte ses frères et ses sœurs à la prière assidue et à l’étude, il veut simplement transmettre ce qu’il vit déjà et ce dont il recueille quotidiennement les fruits pour sa propre prédication et pour sa propre relation à Dieu.

Finalement, l’exemple de vie de Dominique, comme ses paroles, sont là pour nous renvoyer sans cesse à notre vocation profonde : cheminer avec Dieu en prêchant ce que nous vivons et en vivant ce que nous prêchons !

Conclusion : que retenir ?

Pour terminer cette présentation “non-exhaustive” de la sainteté de Dominique, quelles pistes de réflexion pourrait-on retenir pour nous dans notre contexte actuel ? 

Qu’est-ce que ces aspects de la sainteté de Dominique peuvent nous inspirer pour notre vie chrétienne ?

1. Par rapport au premier aspect de la sainteté de Dominique que j’ai présenté : son positionnement et ses réponses évangéliques dans son époque avec ses changements et ses mutations :

Ce que Dominique nous enseigne à travers cette caractéristique de sa sainteté, ce sont tout d’abord l’écoute et l’attention aux dynamiques de notre époque. Un apprentissage de la lecture des signes des temps dirait un théologien… 

Également, l’exemple de Dominique dans son contexte d’il y a 800 ans nous montre qu’on ne peut pas et que l’on ne devrait pas condamner le monde et les grandes orientations de notre société. Autrement dit, en tant que chrétiens, nous devons certes être critiques et ne pas renier notre foi avec ses exigences, mais cette remise en question doit se faire par un dépassement du jugement simpliste de condamnation des courants de notre société. 

Derrière ces mouvements qui émergent, derrière les mutations de notre monde, il y a des personnes en attente de salut et d’amour. C’est de cela dont nous devons nous soucier en premier lieu… Embrasser les dynamiques de notre époque avec l’Esprit qui est en nous et apprendre à aimer ce qu’il y a de bon en elles pour ensuite travailler à leur conversion de l’intérieur… En bref, être dans une logique de l’accomplissement et non pas de l’abolition.

C’est dans cette posture chrétienne et j’oserais même dire christique, que notre vie portera du fruit et que nous deviendrons saints…

2. Concernant le deuxième trait de la sainteté de Dominique : l’amitié tissée avec Dieu dans sa Parole, Dominique nous montre que l’enjeu de notre assiduité à la lecture et à la méditation des saintes Écritures est fondamental. C’est dans ces moments secrets de lectio divina7 que nous cultivons notre amitié avec Dieu et notre collaboration avec Lui. 

C’est là que Dieu nous parle et que l’Esprit nous inspire. C’est aussi là que nous trouvons notre vocation auprès de Dieu, c’est là que nous devenons précisément les amis de Dieu, les réa‘ du Seigneur sur qui Il pourra s’appuyer pour continuer Son œuvre de salut.

3. Concernant le troisième aspect de la sainteté de Dominique : cultiver une amitié intelligente avec Dieu par l’étude en vue du salut des âmes. Cette caractéristique de sainteté – qui est très dominicaine, mais pas exclusivement – qu’est l’étude nous rappelle la responsabilité et le devoir que nous avons en tant que chrétiens de nous former pour d’une part, approfondir intelligemment notre foi et, d’autre part pour transmettre ce que nous avons contemplé des réalités divines à nos contemporains et aux générations futures avec les bons mots, adaptés à notre temps.

4. Et finalement, les deux derniers aspects de la sainteté de Dominique que j’ai développés, à savoir, (4ème) le don de soi pour le bien et l’unité dans nos communautés de vie respectives et (5ème) la prédication par la parole et par l’exemple ; et bien ces deux aspects se rejoignent dans le message qu’ils portent : 

À travers eux, saint Dominique, à la suite du Christ, nous enseigne que notre persévérance dans un agir vertueux, que notre soin accordé à la prédication, que notre zèle pour l’unité n’ont de sens que s’ils sont ordonnés à un témoignage vivant de charité, en pure gratuité pour la gloire de Dieu et le salut du monde… 

Notre monde a besoin de témoins du Christ et de prêcheurs de la grâce : ce constat était valable il y a 800ans, il est plus que jamais d’actualité en 2021 (en cette année jubilaire) ! 

1 « La manière de prier, en son corps, de saint Dominique » dans Nicole Bériou et Bernard Hodel, Saint Dominique de l’ordre des frères prêcheurs, p. 1215-1239, ici : p. 1236-1237.

2 « Procès de canonisation » dans Nicole Bériou et Bernard Hodel, Saint Dominique de l’ordre des frères prêcheurs, p. 689-763, ici : p. 725.

3 « Constitutions primitives » dans Marie-Humbert Vicaire, Saint Dominique. La vie apostolique, Cerf, Paris, 1983, p. 161-197, ici : p. 163.

4 Saint Augustin, La règle. lue par Pierre Raffin, Cerf, Paris, 2011, p. 59.

5 Dom Augustin Guillerand, Silence cartusien, édition en ligne par <salettensis@gmail.com>, disponible sur <http://www.scribd.com/doc/37043771/Dom-Guillerand-Silence-Cartusien>, p. 29.

6 « Procès de canonisation » dans Nicole Bériou et Bernard Hodel, Saint Dominique de l’ordre des frères prêcheurs, p. 689-763, ici : p. 734.

7 La lectio divina désigne une lecture spirituelle, méditative et priante de la bible qui ouvre sur le dialogue avec Dieu et l’écoute de Dieu dans la contemplation.

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