Décès de notre frère Michel Froidure

Le prieur provincial recommande à votre prière
le frère Michel FROIDURE,

de la maison filiale (60 rue de Condé) du couvent de Saint-Thomas
dAquin à Lille, décédé le lundi 29 août 2022.


Il était né le 15 février 1933 à Franconville (95), avait fait profession dans
l’ordre des Prêcheurs le 6 janvier 1960 et avait reçu l’ordination presbytérale
le 5 juillet 1964.

Ses obsèques seront célébrées le vendredi 2 septembre 2022 à 12 heures
en léglise du couvent de Saint-Thomas d’Aquin à Lille et seront suivies de
linhumation au cimetière de Lille Est.

Homélie du frère Jean-Pierre Mérimée – 2 septembre 2022

Ben Sira le Sage 3,17-18.20.28-29 + Psaume 67 (68) + Luc 14, 1,7-14

Ce n’est pas la mort qui nous réunit ce matin. C’est tout le contraire. Ce n’est pas la mort, mais la vie, celle de Michel, frère Michel- il était heureux qu’on l’appelle de ce beau titre aux soins palliatifs- lui qui est entré si vivant, si formidablement vivant dans la mort, c’est à dire dans la Vie, se jetant dans les bras grands ouverts du Père comme il aimait à l’imaginer devant nous dans les derniers jours. Michel en intendant fidèle de son Maître et frère Jésus, une image qu’il aimait tant. Fidèle jusqu’au bout. Émerveillement de tous les témoins de ces dix derniers jours où Michel accueillait ses amis comme pour une grande fête. Et tant pis si la vérité de sa vie peut paraître par trop hagiographique. D’ailleurs, je vais seulement prêter ma voix à Michel car c’est lui qui va faire l’homélie, une homélie de la fraternité, le combat de toute sa vie, qui consonne si bien à l’évangile de Luc sur la dernière place. je vais lire quelques passages de la lettre écrite par lui à l’hématologue qui a consacré 2 h à échanger avec lui, après lui avoir appris qu’il ne lui restait que quelques jours à vivre. Lettre du 19 août, dont il m’avait autorisé l’usage. Comme une homélie posthume. .

« Vous êtes la première à m’avoir dit la vérité sur mon état.(…) Curieusement je n’ai aucune espèce d’angoisse. La mort j’en avais fait connaissance avec la guerre ( j’avais 7 ans en 39, avec l’évacuation et les bombardements, mais c’est deux ans de guerre en Algérie, de septembre 57( début de la bataille d’Alger ) à novembre 58, qui m’ont fait connaître les exécutions sommaires et la torture. C’est une conférence de Mauriac, ‘l’imitation des bourreaux de Jésus Christ’ qui m’en a donné les références chrétiennes. J’ai détesté la guerre et j’ai rêvé d’un monde fraternel ( entre autre avec les arabes), rêve si fort que deux mois après mon retour, je suis entré au noviciat des dominicains pour vivre ‘la bonne nouvelle pour les pauvres’, un monde de fraternité possible. C’était il y a 60 ans et j’ai pu vivre ce rêve. J’ai aussi découvert la bible et l’attente d’un jour où Dieu viendra « me prendre par la main(…) dans la gloire tu me prendras » ! C’est ce que j’attends et que vous m’avez annoncé, peut-être dans quelques jours.(…) Ce que je ressens, c’est cette fraternité avec vous, car nous étions ensemble devant la mort et vous avez été cette présence fraternelle Ô combien précieuse. Vous m’avez permis de donner libre cours à mon émotion et , du même coup, à une sérénité profonde qui reste la même. La tradition chrétienne a donné un nom à ce sentiment: l’abandon dans les mains de Dieu. Rien de mauvais ne peut plus m’atteindre.(…)

« Je ne sais pas si vous êtes chrétienne, mais dans ces circonstances, notre commune appartenance à l’humanité est tout à fait suffisante et je l’ai ressentie comme telle. C’est bon que le médecin et le malade partagent cette égalité, comme condition de leur fraternité et cela vous me l’avez offert alors que je ne m’y attendais pas du tout, comme un cadeau gratuit, jamais inscrit dans des lois, mais donné sans contre partie. (…) » Et Michel conclut par ces mots «  Puis-je vous considérer comme une sœur, si précieuse à ce moment ? » Michel, éternel mendiant de la fraternité, dont toute la vie a été nourrie de sa relation au Christ. Lui dont Philippe disait: « Il nous apprend l’évangile de la colère et de la tendresse. »

Comme ces quelques exemples pris au hasard l’illustrent : J’étais là il y a quelques jours à son chevet quand il a reçu un coup de fil d’une amie réfugiée chilienne lui rappelant que débarquant en 73 à Strasbourg en pays inconnu, en l’accueillant Michel lui avait donné son numéro de téléphone; elle avait alors dit à son mari : « Nous avons le numéro de téléphone de quelqu’un qui s’occupe de nous, nous sommes sauvés »  Sauver ce qui était perdu, cette femme ne s’était pas trompée…

Je me souviens de sa tendresse, sa délicatesse pour les humiliés, les petits, oui ce désir toujours de sauver ce qui était perdu. Il ne jugeait jamais : Yvonne ( nom changé) que Michel m’a fait rencontrer -je venais à peine d’arriver à Lille il y a 40 ans – Malade de l’alcool elle lui disait en parlant d’elle: ‘Laisse tomber, c’est pourri’ jusqu’au jour où elle lui a dit : « Tu crois que JE vais m’en sortir ? » Pour la première fois racontait Michel, elle parlait d’elle à la première personne.

Je me souviens de sa force physique sur les chantiers du bâtiment , Louis dirait mieux que moi sa dextérité à fixer les plafonds de placo, mais surtout de sa fraternité avec les humiliés à partir de petits gestes.

J’aimais lui faire raconter comment un jour de grand froid à midi, cela se passait à Strasbourg, les ouvriers émigrés avaient allumé un feu sur le chantier pour manger leur casse croûte, Michel était allé les rejoindre, refusant l’invitation insistante des collègues alsaciens qui avaient confisqué toutes les places pour eux dans le bungalow chauffé.

Il faudrait parler de Jean Michel Plancke et de tant d’autres copains de boulot auxquels le liait une amitié profonde. En particulier la famille Velghe , Sévim et surtout sa grande tendresse pour Marie-Françoise qui lui a fermé les yeux.

Je me souviens de son attention jusqu’au bout du bout de ses forces pour soutenir par des coups de téléphone quotidiens l’effort de ce groupe de ‘Vivons sans alcool’ fondé il y a plus de 30 ans avec Gaby, réseau d’entraide mutuelle pour tenir face à l’addiction à l’alcool. Ben Sira le sage vient de nous avertir :  « L’idéal du Sage, c’est une oreille qui écoute » L’oreille de Michel au service de ses amis de ‘vivons sans alcool’ avait une écoute sans limite..

Je me souviens des colères de Michel, la colère  du prophète biblique, contre ceux qui « mangent mon peuple » comme le dénonce un psaume, contre ceux qui « disent et ne font pas », contre ceux qui chargent les autres de lourds fardeaux, qui offrent de riches sacrifices mais oppriment le peuple. Lui, si érudit si savant sur tant de questions subtiles devenait presque grossier contre ceux qui, sur le logement notamment, décidaient en haut lieu sans tenir compte de l’avis des gens, sans consulter les destinataires de mesures décidées en vase clos, sans les rencontrer ou qui imposaient leur savoir ou leur pouvoir en maître soit disant experts. Sa colère contre tous les cléricalismes tenait de cette même logique, où Dieu est confisqué pour servir l’ambition de quelques uns.

Comment ne pas penser que Michel diplômé d’ HEC, passé par l’École biblique de Jérusalem, passionné par la recherche biblique aurait pu être quelqu’un de reconnu dans le monde universitaire au lieu de quoi il a préféré la dernière place : au lieu d’une agrégation de lettres un CAP de maçon, plutôt qu’une chaire en Sorbonne le quartier de Moulins à Lille.

Michel, nous avons célébré ensemble le sacrement des malades, tu as reçu le sacrement de réconciliation, tu nous disais, presque un peu étonné : « tout se fait simplement ».  Nous avons concélébré dimanche le Jour du Seigneur, Nous avons ensemble proclamé l’Évangile de Luc, le même que celui que nous venons d’entendre, je cite :« Celui qui t’a invité te dira, ( à toi qui a pris la dernière place) : ‘mon ami, avance plus haut et ce sera pour toi un honneur’. », c’était la veille de ta mort.Tu a eu la force de faire les gestes de la consécration, ce furent tes dernier gestes avant d’entrer dans le coma.

Michel, tu as été un dominicain heureux, fidèle jusqu’au bout à la prière commune, à la réflexion sur les sujets d’hier et d’aujourd’hui, prenant ta part à la vaisselle et pesant le moins que tu pouvais sur tes frères.

Tu es sûrement bien placé dans les bras du Père pour continuer ton œuvre de fraternité universelle et veiller avec Philippe et tous nos amis défunts sur ta famille de la Maison du 60, pour que nous ayons à cœur toujours d’inviter les pauvres, les estropiés, les boiteux, les aveugles à nos fêtes, c’est notre ADN.

Aide-nous à poursuivre cette aventure commune que nous avons définie un jour comme « une école où l’on apprend à vivre en frères et sœurs à égalité » Qu’il en soit ainsi, amen.

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