Homélie du frère Benoît Ente – Fête de la sainte famille – 31 décembre 2023
Je suis surpris frères et sœurs, par les lectures choisies par la liturgie pour la fête de la Sainte Famille. Elles sont centrées sur la foi. Foi d’Abraham, de Sara, des parents de Jésus qui observent la Loi du Seigneur et enfin foi d’Anne et de Syméon.
Peut-être que ce choix nous rappelle que fonder une famille, en particulier aujourd’hui, est un saut dans l’inconnu, une confiance en la vie, un véritable acte de foi en un Dieu créateur qui est avec nous. Abraham témoigne de cette confiance lorsque tout au début de son histoire, il accepte de quitter les siens pour partir loin de sa patrie. Plus tard, sa foi en la promesse de Dieu qui lui dit que sa vie sera très féconde, est une nouvelle forme de cette confiance initiale. En fait, Abraham a foi en un Dieu bienveillant, ami des hommes et cela lui donne l’audace de le suivre là où il l’emmène.
Dans notre petite communauté de la maison du 60, nous voyons de nombreux parents seuls, nous voyons aussi des couples se faire et se défaire, des enfants placés en famille d’accueil avec une ou deux visites par semaines de leurs parents. En fait, je peux dire qu’il est bien rare de trouver une famille avec un papa, une maman et des enfants liés par le sang. Cette réalité n’est qu’une version un peu extrême de ce que nous trouvons dans notre société : des familles dispersées, éclatées, recomposées.
Ce constat nous interroge : qu’est-ce qui profondément fait l’unité d’une famille ? Assurément, ce n’est pas le lien du sang. Quand nous écoutons les lectures de ce jour, n’avez vous pas l’impression qu’Abraham est l’ancêtre de Jésus, Anne et Syméon ses grands parents ? Oui, la venue de Jésus élargit le sens que nous pouvons avoir de la famille. Ce qui profondément fait l’unité des membres d’une famille, ce n’est pas d’abord le sang, mais une foi commune, une adhésion personnelle au projet d’amour de Dieu sur notre monde et sur chacun d’entre nous.
D’ailleurs, ceux qui fréquentent la Maison du 60 la décrivent souvent comme une famille. Sans la foi, les liens du sang se délitent et inversement, la foi a le pouvoir de les reconstituer. A la Maison du 60, nous voyons parfois le miracle de personnes qui nous fréquentent pendant des années, reconstituer des liens de sang brisés.
Dans le passage du livre de la Genèse, Dieu promet à Abraham « ce n’est pas lui qui sera ton héritier mais quelqu’un de ton sang ». En réalité, les mots hébreux ne disent pas sang, mais littéralement « quelqu’un issu de tes entrailles », une expression qui élargit les horizons et le sens. En effet, les entrailles d’Abraham frémissent pour Dieu, elles frémissent quand il entend sa promesse, elles frémissent aussi de compassion pour son cousin Loth. De ces entrailles frémissantes qui rejoignent celles des prophètes, de Jésus et des nôtres aujourd’hui face aux détresses de notre monde, jaillit mystérieusement une fécondité surnaturelle, une sainte famille ou plutôt un peuple saint.
Ce peuple se reconnaît par un signe, un étendard, un geste raconté dans l’évangile de ce jour : la consécration à Dieu. Jésus présenté au temple est consacré à Dieu. Mais bien avant lui, Abraham, par sa foi, par sa fidélité, s’est consacré à Dieu tout comme Anne, Syméon, les disciples et vous aujourd’hui. Car la consécration à Dieu n’est pas réservée aux prêtres, religieux et religieuses comme on le dit parfois, mais elle est pour tous ceux qui vivent de la foi du baptême, qui entrent dans une relation en esprit et en vérité avec le Dieu d’amour que Jésus nous a appris à appeler Père.
La sainte famille, c’est-à-dire selon les mots même de Jésus, « ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la mettent en pratique », devient ainsi un peuple de consacrés qu’aucune frontière humaine ne peut plus circonscrire. Jésus est né dans une petite famille humble et profondément fidèle à Dieu. Mais sa vie, sa parole nous fait passer sans cesse de cette famille nucléaire à la grande famille des enfants de Dieu, celle où nous découvrons à nos côtés une multitude de frères et de sœurs avec qui se réjouir, avec qui partager, et parfois avec qui pleurer. Et nous reconnaissons avec émerveillement dans ce corps, le Royaume de Cieux qui vient.
Amen.