Comédie et tragédie

Homélie du frère Emmanuel Dumont pour le Jeudi saint – 1 avril 2021

Comédie

Est-ce que vous avez bien compris ce texte ? Je propose que ceux qui ont tout compris du texte fasse un signe, qu’ils enlèvent leur masque. Bien sûr, c’est une blague.

Mais au fond, ce texte ne relève-t-il pas de la blague ? Voir Jésus au pied des disciples. Imaginez que cette semaine on apprenne que le président de la république a laver les pieds de ses disciples au conseil des ministres ?

Aristote disait qu’une comédie, c’est une mise en scène de personnages inférieurs, bas. Evidemment, ici, ça ne colle pas.

A moins que… regardez ce dialogue entre Pierre et Jésus. Regardez la vitesse de l’enchaînement des répliques. Ça c’est du théâtre. Et c’est un peu ridicule, cette espèce de négociation. Vous imaginez le frère Pierre négocier avec le prieur pendant le lavement des pieds ?

En fait, on dirait moi quand je prie. Ou Abraham avec Dieu quand il négocie la grâce de Sodome.

Bien souvent notre prière est un peu comique, il faut l’avouer. Et pourtant, c’est justement dans l’authenticité de ces échanges avec Dieu que se manifeste la réalité de sa bienveillance pour nous.

De réel à l’idéal

Northrop Frye, un critique des années 1960 disait que la comédie c’est ce qui nous fait passer du réel, bien souvent perçu comme une réalité inférieure, à l’idéal. Si j’ai bien compris, le but de la comédie, c’est de faire face à la réalité avec tout ce qu’elle a de petit pour nous orienter vers un idéal plus grand.

Alors, oui, peut-être que la vie de Jésus relève de cela. Jésus est venu nous toucher dans ce que nous avions de plus petit, pour nous faire toucher ce qu’il y a de plus grand. C’est l’expression de la « bienveillance » de Dieu. C’est la manière que Dieu a de rendre sa bienveillance réellement présente à nous.

Tragédie

Mais la bienveillance, et la bienveillance de Dieu en particulier, c’est quelque chose de sérieux. De tragique même.

Si la tragédie d’Aristote met en scène ce qu’il y a de grand, alors oui, ce texte est tragique.

Ces derniers temps, j’ai lu ce texte avec plein de mondes. Je l’ai lu avec Rachid, à la prison, mardi. Rachid, comme son prénom l’indique, il est plutôt musulman, mais il voulait rencontrer un aumônier catholique, et comme je suis catholique, je l’ai rencontré. En lisant ce texte avec lui, je me suis rendu compte que ce texte est une bombe théologique.

Jean n’arrête pas de nous dire ici que Jésus est Dieu. C’est vrai dans la première partie avec sa ponctuation impossible. En grec, c’est encore plus impossible, c’est une seule phrase. Jean dit que le Père a « tout remis entre ses mains », autrement dit qu’il partage le pouvoir de Dieu, donc il est Dieu. Il dit qu’il est « sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu ». Il est sorti sans être créé, il est comme Dieu, toujours relié à Dieu et il y retourne. Quel mouvement grandiose que nous imitons un peu, nous qui avons été créé et qui reviendrons à Dieu dans la vie éternelle. 

Et puis, ça continue dans la bouche de Jésus. Il dit lui-même : je suis « maître » et « seigneur », or ce sont des titres réservés à Dieu. Et plus loin, il dira, que nous allons croire que « moi, Je suis », ce qui est un nom de Dieu.

Ce texte nous parle de Dieu, du Christ-Dieu, du Christ qui révèle en plénitude la bienveillance de Dieu.

Une bienveillance idéale, qui nous touche dans la réalité, qui vient nous toucher les pieds.

Toucher réellement

Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais pour moi, les pieds, c’est très sensible. Quand on me touche les pieds, je suis très concentré, j’ai conscience de la présence de la personne qui me touche les pieds.

En fait, ça m’est arrivé une seule fois, c’était avant d’entrer dans l’Ordre, je voyageais en Chine et j’ai profité d’un message de pieds. C’est quelque chose de très agréable, ça détend le corps. Cela fait partir toute nos tensions, et cela nous aide à nous rendre présent au monde.

En lavant les pieds de ses disciples, le Christ leur montre de manière bien réelle, bien présente, bien tangible la bienveillance de Dieu. 

Malgré le mal

La bienveillance, c’est sérieux et c’est tout sauf naïf. D’ailleurs, ce texte est encadré par les deux mentions de la trahison de Juda. Cela évoque la mort du Christ, bien sûr, mais aussi la douleur de la trahison d’un ami.

Et bien Jésus, sais que son ami va le trahir, et pourtant, il lui manifeste sa bienveillance en lui lavant les pieds.

La troisième partie du texte est une petite leçon de morale, un appel à manifester notre humilité les uns par rapport aux autres.

En fait, c’est plus qu’une séance de coaching pour nous aider à être de bons chefs. C’est une manière pour Jésus de partager avec nous sa grandeur, sa divinité.

Lorsque nous exprimons une réelle bienveillance les uns pour les autres, nous participons au mouvement de Dieu, Dieu est réellement présent en nous.

Eucharistie

Vous savez que ce texte, dans l’Evangile de saint Jean, remplace le récit de l’eucharistie, qui a lieu lors de ce même repas pascal, dans les trois autres évangiles.

C’est pour cela que nous lisons la lecture de saint Paul sur les premières messes des premiers chrétiens.

Et bien oui, frères et sœurs, ce texte est aussi sur l’Eucharistie. Célébrer l’Eucharistie, c’est se souvenir de la mort et de la résurrection de Jésus qui se donne pour nous. Célébrer l’Eucharistie, c’est se souvenir de la bienveillance réelle et concrète de Dieu pour nous, manifester dans le corps de son Fils.

Frères et sœurs, nous allons communiquer au Corps du Christ, il va nous toucher dans notre intimité, il va faire de nous tous son corps, la manifestation de sa bienveillance.

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